Méthodologie : Bien conduire son projet de ToIP
Dossier par Christophe Bardy, 2672 mots
La gestion d'un projet de ToIP requiert de veiller à de nombreux détails, tant techniques qu'organisationnels. Sur la base des recommandations méthodologiques de Nextira One et Dimension Data, nous avons compilé la liste des principaux points critiques à ne pas sous-estimer.
1/ bien définir ses besoins
Avant de se lancer dans un projet de migration vers la ToIP, il est essentiel de bien définir ses besoins et aussi de réfléchir à la cible que l'on souhaite atteindre en termes de fonctionnalités. Comme l'explique Christophe Courtois, responsable des activités ToIP de Nextira One, cette étape de définition des besoins est importante, car c'est à partir d'elle que l'on déterminera les solutions à utiliser, le mode d'exploitation (en propre, hébergé, externalisé ou Centrex IP...), mais aussi les budgets à prévoir pour atteindre la cible désirée. L'objectif de cette phase est de définir un cahier des charges afin de pouvoir lancer un appel d'offres auprès de plusieurs constructeurs et intégrateurs.
Tous les clients et intégrateurs interrogés s'accordent sur le fait que les utilisateurs doivent être impliqués dès cette phase de définition dans le projet. Comme le note Stéphane Bleton, le responsable de l'activité Téléphonie et Collaboration de Dimension Data, "afin d'éviter tout problème, nous recommandons d'impliquer les salariés dès le début du projet, notamment pour les préparer aux évolutions des modes de communication que peut permettre la ToIP. Le but est d'apporter au minimum ce dont les utilisateurs ont besoin et dont ils se servent au quotidien sous peine de rejet après déploiement. Il est essentiel de ne pas oublier que ce n'est pas l'administrateur qui détermine si la ToIP ne marche pas. Le juge final est l'utilisateur, et il est impitoyable."
L'analyse de l'existant permet, quant à elle, d'obtenir un bilan détaillé sur les ressources de l'entreprise. C'est un exercice fastidieux et qui est d'autant plus complexe que le nombre de sites est élevés. "Il est rare que l'on parvienne à obtenir un inventaire complet des accès opérateurs", explique ainsi Stéphane Bleton. Et d'ajouter que chez certains grands comptes qui n'ont pas forcément tenu à jour leurs inventaires, il faut parfois près de six mois pour recueillir les données telles que plans de numérotation, inventaire des lignes analogiques et numériques souscrites auprès de l'opérateur... Au-delà de cet inventaire des ressources externes, l'analyse de l'existant permet aussi d'obtenir un diagnostic du réseau couvrant aussi bien la partie LAN (câblage, QoS, alimentation sur Ethernet...) que la partie WAN (débit, classes de service...).
Pour Laurent Auzély, directeur du centre de compétences Communications IP de Telindus Arche, cette démarche d'inventaire doit être très détaillée. "Parmi les pièges que l'on sous-estime figurent la collecte des informations sur la disponibilité de place dans les armoires de raccordement, des questions comme le secours énergie ou le diagnostic du câblage... On doit inventorier l'intégralité des liens télécoms, valider les performances du réseau, sa capacité à soutenir une charge supplémentaire et à supporter de la QoS. Il faut parfois prévoir très en amont la mise à jour des contrats opérateurs et notamment envisager le coût relativement élevé des classes temps réel des offres VPN IP PMLS..." Il est également utile de faire le bilan des équipements de réseau actifs, la mise en place de la ToIP pouvant entraîner un besoin en prises supplémentaires.
L'étape de définition des besoins est aussi l'occasion de déterminer les enjeux en termes de convergence des équipes et d'exploitation. C'est à ce niveau-là que l'on doit établir les besoins en formation. Afin de faciliter l'éventuelle intégration entre téléphonie et SI, la plupart des intégrateurs proposent des cours pour simplifier la convergence des équipes. Certains modules visent ainsi à donner une culture IP aux exploitants télécoms ; d'autres visent à pallier les carences en téléphonie des administrateurs systèmes et réseaux. Laurent Auzély note à ce propos que si les administrateurs réseaux et responsables téléphonie sont souvent impliqués très tôt dans les projets, "un aspect souvent oublié est celui de l'administration système", alors que ces personnels sont amenés à intervenir sur l'intégration (annuaire, messagerie unifiée) mais aussi dans l'exploitation et la maintenance des serveurs de communication IP.
Certaines entreprises face à la nécessaire réorganisation de leurs équipes pourront être tentées par l'hébergement ou l'externalisation de leur téléphonie sur IP. C'est dans cette phase qu'il leur faudra prendre leur décision, car elle influera nécessairement sur le type de solution retenue et sur le choix du partenaire, souvent plus opérateur qu'intégrateur...
Enfin, il est aussi nécessaire de faire un bilan financier strict de l'existant et de commencer à modéliser les gains que l'on peut espérer de la migration vers la ToIP (mutualisation des infrastructures et des équipes, coût d'exploitation, gains sur les accès télécoms, coût des matériels et licences...). Cela fournira une première idée du ROI, en attendant un calcul plus précis après les appels d'offres.
2/ concevoir sa solution
Une fois passée la phase de la définition des besoins vient celle de la conception de la solution de ToIP. Cette phase comprend notamment l'analyse de faisabilité, l'analyse des performances (notamment audit du réseau LAN), la prise en compte des aspects de sécurité et d'interopérabilité... Une large partie de ces travaux est, bien entendu, liée aux différentes solutions techniques envisagées pour le projet.
Dans la partie faisabilité, la principale préoccupation est de vérifier que la solution envisagée pourra répondre aux exigences du projet. Il s'agit notamment de faire l'inventaire fonctionnel des solutions proposées pour voir s'il correspond au cahier des charges défini précédemment. Certains points sont tout particulièrement à surveiller, telle la capacité des équipements à s'intégrer à l'existant, notamment dans le cadre d'un projet où la solution de ToIP devra cohabiter durant une période plus ou moins longue avec des équipements de téléphonie classique. Dans ce cas, la cohabitation entre nouveaux systèmes et anciens se fera souvent via le protocole QSIG, largement supporté par les différents fournisseurs. Il s'agit aussi de s'intéresser au respect des différents standards, notamment si l'on envisage l'utilisation d'applications convergentes ou le développement d'interfaces avancées entre le SI et les applications de téléphonie.
La prise en compte des critères de sécurité est également un point essentiel. Comme l'explique Laurent Bellefin, directeur des opérations de sécurité de Solucom, les points clés à vérifier sont assez similaires à ceux d'autres applications. Il faut ainsi se préoccuper du suivi des failles et des vulnérabilités des serveurs de communication, comme on le ferait avec un serveur applicatif traditionnel. Il faut aussi traiter la question du niveau de confidentialité des communications et de leur intégrité, de la continuité de service et inventorier les risques que peuvent poser les intégrations avancées entre les applications métier et la ToIP. Nombre de problèmes peuvent être résolus en segmentant les trafic voix et data, en chiffrant les communications interéquipements.
Si l'on envisage l'alimentation des postes de téléphonie IP électrique par le réseau, Dominique Grossi, consultant technique HP Procurve, note que la mise en oeuvre de la technologie Power over Ethernet (PoE) peut parfois poser problème sur l'infrastructure électrique des clients s'ils n'ont pas prévu la puissance nécessaire dans leurs armoires de brassage. Il balaie en revanche la question des problèmes de dissipation thermique que pourrait causer la mise en oeuvre du PoE dans les locaux de raccordement d'étage : "Pour ce qui est de la dissipation thermique, la puissance est consommée à la périphérie (entre 4 et 7 W pour un téléphone) ; il n'y a donc pas beaucoup de consommation locale au niveau du switch, si ce n'est un léger surcroît du côté de l'alimentation. Mais cela reste marginal, les alimentations à découpage utilisées dans les commutateurs PoE ont un excellent rendement."
Côté interopérabilité, il faut s'assurer du bon fonctionnement de la solution de ToIP sur l'infrastructure réseau en place, mais également à interopérer avec d'autres solutions (notamment si l'on projette de mélanger plusieurs architectures de fournisseurs différents). Dans la pratique, les solutions de constructeurs comme Siemens, Alcatel ou encore Nortel sont largement indépendantes de l'infrastructure en place et peuvent aussi bien être déployées sur un réseau à base d'équipements Cisco que sur un réseau HP ou Extreme Networks. En fait, la plupart des équipementiers proposent des guides de recommandations pour déployer leurs systèmes sur des réseaux tiers. C'est par exemple le cas de Siemens, qui ne commercialise pas de produits LAN. Comme l'explique Valéry Schoen, chef de service avant-vente de Siemens Entreprise Network, "fournit des guidelines génériques et des préconisations par type de réseau. Aujourd'hui, nous n'avons pas la connaissance d'un cas où nous n'avons pas pu déployer nos équipements sur un réseau X, Y ou Z. [...] Siemens a conçu une architecture calquée sur les standards, qui évite autant que possible les implémentations propriétaires." A l'inverse, comme le souligne Christophe Courtois de Nextira One, "le fait d'être sur infrastructure Cisco amène des avantages lorsque l'on déploie une solution de ToIP Cisco", avec le risque, toutefois, d'être pieds et poings liés au constructeur californien...
3/ soigner la phase d'intégration
Avec le début de la phase d'intégration, le projet entre réellement dans sa phase opérationnelle et demande un suivi étroit du chef de projet. Pour les projets les plus complexes, c'est le moment où va commencer la réalisation de maquettes, mais également le développement des interfaces avec les composants essentiels du système d'information tels que l'annuaire ou les applications métiers (CRM, gestion de contact, interrogation de bases de données...). Comme l'explique Stéphane Bleton, de Dimension Data, la maquette va par exemple permettre d'avancer en douceur sur l'intégration avec l'existant et notamment avec l'annuaire. "C'est pour nous l'occasion de vérifier l'état de l'arborescence de l'annuaire et de tester les intégrations applicatives."
En pratique, la maquette va permettre de tester en conditions "réelles" les solutions proposées par les différents constructeurs. Il s'agit notamment de vérifier que la solution sera conforme aux spécifications fonctionnelles, mais aussi qu'elle répondra aux critères de disponibilité et de tolérance de pannes (notamment en configuration multisite). Ainsi, "les interconnexions de sites ne coulent pas de source, affirme Corinne Figuereo, responsable du pôle Conseil & Projets de Spie Communications. La problématique du client est de savoir quel type de liens il met en place ; il faut trouver le bon équilibre. Le découpage de base [des classes de services MPLS] des opérateurs n'est souvent pas suffisant. On a besoin de plus de granularité sur les VPN IP. Sur le papier, la définition par l'opérateur n'est pas choquante. C'est plus dans la mise en oeuvre que l'on rencontre des soucis." Il convient donc de veiller à bien dimensionner ses liens et à tester l'impact de la téléphonie sur IP sur la qualité de service du réseau étendu lors de la phase d'intégration. Dans le cas d'une infrastructure très centralisée, Valéry Schoen, de Siemens, recommande aussi de faire attention à la question des numéros d'urgence : "Pour certaines architectures très centralisées, l'accès aux numéros d'urgence locaux par une agence ou un site distant peut être un vrai problème. La difficulté peut être contournée par des passerelles et, à terme, devrait être contournée par l'interconnexion directe en SIP avec les opérateurs."
La phase d'intégration est aussi l'occasion d'évaluer le savoir-faire des différents intégrateurs impliqués dans le projet. Dans la pratique, la phase de maquette est la dernière étape entre la short list des fournisseurs et l'attribution du projet à l'un d'entre eux. C'est aussi une occasion précieuse d'impliquer quelques utilisateurs clés dans l'évaluation des solutions et de recueillir leurs remarques afin d'apporter les dernières modifications au projet (ou, éventuellement, avant de l'abandonner).
4/ réussir son déploiement
Une fois la phase de maquette achevée et le fournisseur sélectionné vient la phase de déploiement. Celle-ci peut être plus ou moins complexe selon la taille du projet et notamment le nombre de sites à installer. Au nombre des points critiques de cette phase figurent notamment la formation des utilisateurs et celle des administrateurs de la solution, ainsi que la phase de conduite du changement afin d'éviter tout rejet de la nouvelle solution.
La plupart des clients en conviennent, le déploiement de leur solution de téléphonie sur IP s'est en général effectué sans problème majeur et sans désagrément imprévu. Avec l'expérience, les intégrateurs sont de plus en plus rompus aux déploiements de masse, et la généralisation des projets se passe plutôt bien pour ce qui concerne la partie technique. De nombreux intégrateurs indiquent même que, si la phase d'intégration a été bien préparée, les déploiements se font plus rapidement qu'en téléphonie traditionnelle, les terminaux s'autoconfigurant, par exemple, tous seuls à la mise en route.
En général, la prudence veut que l'activation des équipements et la bascule des lignes s'effectuent durant la nuit ou durant un week-end afin de limiter les perturbations. Dans certains grands projets, les bascules peuvent aussi s'effectuer par tranche afin de minimiser les risques d'une panne générale pendant la montée en charge. De cette façon, l'entreprise continue de disposer de postes analogiques pendant que la bascule s'opère progressivement. Du coup, ce n'est finalement pas sur cette partie technique mais sur l'accompagnement des utilisateurs avant, pendant et après la migration qu'insistent les intégrateurs et clients existants de la ToIP. Pour cette étape, tous les moyens sont bons pour susciter l'intérêt, sinon l'envie des utilisateurs. Outre les sessions de formation traditionnelles et la rédaction des inévitables petits guides pratiques et manuels, nombre d'entreprises ont recours à des tactiques quasi commerciales comme, par exemple, la mise en place de points de démonstration dans les cafétérias ou lieux de pause, permettant aux utilisateurs de venir essayer la solution ou de se faire expliquer quelques-unes des subtilités des nouveaux systèmes. Une autre manoeuvre courante est la formation d'utilisateurs clés ou de superutilisateurs qui agiront ensuite comme des référents pour leurs collègues. Une façon de contourner les réticences à se tourner vers un intervenant extérieur pour obtenir de l'aide. Une façon aussi de s'assurer que les utilisateurs les plus sensibles se trouvent valorisés et ne lutteront pas contre l'adoption du système...
5/ exploiter
L'une des grandes évolutions apportée par la téléphonie sur IP est que les "PABX" ressemblent de plus en plus à des serveurs informatiques et doivent donc en conséquence être gérés avec des procédures similaires à celle des serveurs, notamment car les systèmes d'exploitation sous-jacents sont souvent des OS du marché, comme Linux ou Windows. Des procédures bien établies doivent donc être définies pour la gestion des incidents et problèmes, la gestion des changements ou l'application de correctifs. Il est par exemple important de mener des tests de régression lorsque l'on met à jour la version de son logiciel de PABX afin de s'assurer que celle-ci n'influe pas sur la compatibilité avec les terminaux ou avec les applications liées aux PABX. Dans certains cas, une mise à jour du PABX nécessitera par exemple celle des micrologiciels (firmwares) des postes téléphoniques ou celle des modules d'interface avec les applications tierces. Une autre conséquence de cette plus grande proximité des serveurs informatiques est que les révisions logicielles produites par les constructeurs sont plus fréquentes qu'auparavant avec l'ajout régulier de nouvelles fonctionnalités. Il devient intéressant dans certains cas de souscrire les contrats de maintenance évolutive des intégrateurs ou constructeurs qui assurent ainsi que l'on pourra bénéficier dans la durée des mises à jour les plus récentes. De ce point de vue, les modèles tarifaires se rapprochent très nettement des modèles de licences utilisés par les éditeurs de logiciels, preuve que la téléphonie devient de plus en plus une application comme une autre des réseaux IP.
6/ optimiser
Outre le suivi au quotidien des paramètres de qualité de service, tous les utilisateurs et intégrateurs que nous avons interrogés préconisent un pilotage précis de la téléphonie sur IP et la mise en place de systèmes de reporting. Si les grands comptes pourront mener ces opérations en interne, les PME préféreront confier le suivi et la gestion des "signes de vie" de leur solution de ToIP à un prestataire, qui préconisera les évolutions ou adaptations à effectuer pour maintenir le système en condition ou optimiser ses performances. Une façon comme une autre pour les intégrateurs de déplacer la valeur ajoutée vers des prestations de maintenance et de conseil...
- I. Une émergence inéluctable
- II. Méthodologie : Bien conduire son projet de ToIP
- III. Témoignage : Hub Telecom, "Premier piège : ne pas avoir une réflexion globale"
- IV. La délicate question des standards
- V. Les défis uniques du Centrex
- VI. Témoignage : Disney, la ToIP comme un projet informatique
- VII. Entretien : Stéphane Buvat, Disney : "L'analyse doit être transversale"
- VIII. Entretien avec Pierre Texier, Lexsi : "Ne pas sous-estimer les questions de sécurité"