Alcatel-Lucent : « Nous ne reviendrons pas sur le plan d'ensemble, car il est justifié et nécessaire »
Dossier par Olivier Coredo , 997 mots
Fruit de la fusion entre Alcatel et Lucent, le plan social du groupe prévoit 12 500 suppressions d'emplois dans le monde. Ce chiffre fait grincer les dents des salariés, des syndicats et des élus. Pourtant Alcatel-Lucent le justifie, par la voix de son PDG France, Jean-Christophe Giroux. Il n'est pas question de revenir sur le fond du plan. Cependant, la direction reste ouverte au dialogue concernant ses modalités d'application.
R&T : Le dialogue social est-il rompu ?
Jean-Christophe Giroux, PDG d'Alcatel-Lucent France : Absolument pas ! C'est une perception totalement fausse. Vendredi dernier, une trentaine de personnes, composée des syndicats européens et de la direction d'Alcatel-Lucent, ont passé une dizaine d'heures à discuter du plan de restructuration du groupe. Elles ne sont pas allées jusqu'à la fin de l'ordre du jour. Une nouvelle réunion est donc prévue demain.
Ces réunions Européennes officielles ne se substituent pas au dialogue dans chaque unité légale. Et je ne parle même pas des rassemblements officieux entre syndicats et direction. J'avoue ne pas comprendre la tonalité ambiante qui parle de rupture du dialogue social.
R&T : Sur quelles bases discutez-vous ?
J.C.G. : Alcatel-Lucent a annoncé début février un plan dont les causes sont connues depuis longtemps. Les 12500 réductions d'effectifs dans le monde sont la conséquence directe de redondances liées à la fusion annoncée le 1er décembre ou au rachat des activités UMTS de Nortel, ainsi qu'à l'adaptation de notre mode de fonctionnement aux besoins en pleine évolution de nos clients et de l'ajustement de certaines activités aux perspectives du marché. D'autres économies d'échelle obtenues par ailleurs doivent nous permettre d'économiser au total plus de 1,7 milliard d'euros sur 3 ans . Ce n'est pas un plan Boursier ! C'est un plan opérationnel qui seul peut nous permettre de rationaliser nos offres de produits et de solutions.
Au niveau européen, nous expliquons en détail les causes stratégiques de la restructuration et les conséquences sur l'emploi.
Au niveau local, nous discuterons et négocierons la mise en oeuvre de ce plan, avec notamment en France, des mesures exclusivement basées sur le volontariat.
R&T : Pouvez-vous citer un exemple de rationalisation de gamme de produit ?
J.C.G. : Dans les activités mobiles 3G, nous subissons la pression de nos concurrents. Pour être compétitifs et crédibles auprès de nos clients, nous devons choisir une seule des 3 gammes de produits historiques, celle d'Alcatel, celle de Lucent et celle que nous avons rachetée dernièrement à Nortel. Bien évidemment, cela se traduit par des réductions d'emplois et, bien sûr, elles touchent la R&D. Le groupe est majoritairement composé de cols blancs, c'est inévitable !
Nous rationalisations aussi les structures par pays.
R&T : Peut-on imaginer des transferts de compétences sur d'autres domaines de la R&D ?
J.C.G. : Bien évidemment. C'est notre premier devoir. Nous ferons le maximum pour réorienter les compétences vers des activités porteuses. Par exemple, des compétences aujourd'hui dans l'UMTS seront utilisées pour le WiMAX. Partout où nous pourrons, nous essaierons de réorienter les compétences.
R&T : Que se passe-t-il exactement à Rennes ?
J.C.G : Sur Rennes, les locaux ferment mais les emplois sont préservés. Heureusement, car il s'agit de personnes hautement qualifiées. Leur domaine de compétence est hautement stratégique pour le Groupe. Le personnel est transféré sur Orvault (44) ou sur Lannion (22), et notre volonté est de trouver des solutions personnalisées pour chacun de nos employés à Rennes, soit par le financement du déménagement, soit par l'aide à la recherche d'emploi pour le conjoint, soit par la mise en place du télétravail.
Nous comptabilisons 5 sites en Bretagne : Brest, Orvault, Lannion et 2 plus petits sites sur Rennes. Nous avons décidé de redéployer les petits sites de Rennes et de consolider les deux plus gros centres de Lannion et Orvault.
R&T : Patricia Russo, PDG du groupe, semble inflexible sur la restructuration. Pouvez-vous imaginer faire machine arrière ?
J.C.G. : Les 12 500 suppressions d'emploi sont le résultat d'une analyse fine pays par pays, et activité par activité - opérationnelles comme fonctionnelles. Chaque chiffre a été longuement pesé, analysé, débattu. En tant que tel, le total ne peut pas être réduit, toute discussion à ce niveau est irréaliste. Mais nous sommes ouverts au dialogue sur les modalités et la mise en ?uvre de ce plan.
Les syndicats comprennent bien notre logique de suppression des redondances. Ils ont toutefois du mal à accepter le résultat, ce que nous comprenons à notre tour.
Nous nous sommes donnés jusqu'à fin 2008 pour finaliser ce plan en France. Nous sommes confiants dans la qualité et la diversité des mesures d'accompagnement.
R&T : Subissez-vous des pressions politiques ?
J.C.G : Les élus sont en attente d'explications. Nous nous sommes manifestés auprès d'eux en amont. Nous les informons régulièrement, mais leur réaction est inévitable. Localement, nous étudierons les possibilités d'accompagnement ou d'essaimage.
Je tiens à affirmer que, contrairement à ce qui a pu être dit, nous maintenons et renforçons notre implication dans les pôles de compétitivité, notamment celui d'« images et réseaux » de Bretagne.
R&T : Que pensez-vous de l'implantation de Huawei à Lannion ?
J.C.G : Nous étions au courant depuis quelques mois - et il faut relativiser les choses, car on ne parle que de 20 personnes dans un premier temps. Cette implantation témoigne pourtant de deux tendances fortes. Les Chinois, tels Huawei ou ZTE, sont des concurrents extrêmement sérieux et offensifs, au même titre que d'autres acteurs occidentaux. Ensuite, ils suivent une logique proche de la nôtre. A savoir, s'implanter plus près de leurs clients.
R&T : Qu'attendez-vous du groupe de travail gouvernemental sur l'avenir de la filière Télécoms ? Des mesures protectionnistes ?
J.C.G. : Nous attendons beaucoup de ce groupe de travail, que nous réclamons depuis des années. Je souhaite des conclusions concrètes, en termes de mesures fiscales et douanières ou d'aides à l'emploi. Le seul bémol est que ce groupe est très français et composé majoritairement d'équipementiers. C'est un bon début, mais il faudra impliquer plus fortement les opérateurs et les autres acteurs Européens. Notre industrie est en pleine transformation et consolidation. La prise de conscience des politiques est indispensable!
- I. La fusion
- II. Alcatel-Lucent : « Nous ne reviendrons pas sur le plan d'ensemble, car il est justifié et nécessaire »
- III. Interview : «Alcatel-Lucent ampute le coeur de la R&D»
- IV. Les salariés d'Alcatel Lucent en nombre dans la rue
- V. Il faut sauver la filière Télécoms
- VI. Les salariés d'Alcatel Lucent de nouveau mobilisés
- VII. Des résultats en baisse, une confiance intacte