Habib Bouchrara
Directeur Général de Fujitsu Siemens
« Le système des enchères inversées est allé trop loin »
Fujitsu Siemens France annonce qu'il ne participera plus systématiquement aux enchères inversées lancées par les grands comptes. Habib Bouchrara, Directeur Général de ce fournisseur, dénonce un système devenu particulièrement destructeur de valeur.
Réseaux et télécoms : Fujitsu Siemens vient d'annoncer qu'il ne participerait plus systématiquement aux enchères inversées lancées par les grands comptes : quel a été l'élément déclencheur ?
Habib Bouchrara : De nouveaux paliers ont été franchis cette année et on en arrive aujourd'hui à un véritable dumping. Pour ne citer qu'un exemple, on a vu des PC de bureau de dernière génération, avec une garantie de 4 ans sur site, dont le prix est passé en dessous de 200 €. Ils en valent le double ! Selon nous, il n'est pas sain de participer à ce système destructeur de valeur.
Réseaux et télécoms : Vos concurrents diront peut-être que vous prenez cette décision parce que vous ne pouvez pas suivre en termes de prix ?
Habib Bouchrara : J'ai suffisamment d'échanges avec mes confrères pour savoir qu'ils sont tous d'accord pour dénoncer cette dérive, même s'ils ne s'expriment pas ouvertement sur le sujet. Pour le reste, nous considérons effectivement que nous ne devons pas suivre, quitte à perdre des parts de marché. Par ailleurs, ce qui doit tous nous alerter est que les services sont de plus en plus concernés. Cela va trop loin et toute la chaîne de valeur est concernée, depuis le constructeur jusqu'au client.
Depuis le début de l'année, les enchères auxquelles nous avons participé représentaient un volume d'affaires de 26 millions d'euros et les marchés que nous avons gagnés n'ont pesé que 4 millions d'euros.
Réseaux et télécoms : Le système peut-il évoluer ?
Habib Bouchrara : Le système des enchères inversées existe dans d'autres pays, mais pas avec les excès que l'on observe en France. Il va évoluer dans la mesure où les grands comptes eux-mêmes vont changer d'avis. D'ores et déjà, un certain nombre de grandes entreprises privées abandonnent la formule après avoir constaté ce que leur coûtait l'achat de services « dégradés ». On ne peut pas continuer à se focaliser sur le prix d'achat alors que la connaissance du TCO (Coût total d'exploitation) est de plus en plus fine.
Selon le Gartner, le matériel ne représente que 15% à 20% du TCO, le reste étant lié à la maintenance, aux logiciels, aux mises à jour, etc. Ce n'est pas pertinent en termes de gestion et ce sera de plus en plus contradictoire avec les engagements des grands comptes publics en matière d'économie d'énergie.
Enfin, certains contrats, avec des engagements de services sur plusieurs années, sont de véritables bombes à retardement. Et les premières exploseront dans quelques mois. Qui peut prédire comment évoluera le cours du dollar après 2009.
Réseaux et télécoms : Selon quels critères choisirez-vous désormais les enchères inversées auxquelles vous participerez ?
Habib Bouchrara : Nous examinerons tout d'abord les exigences des cahiers des charges et le contexte client, c'est-à-dire sa capacité à prendre en compte la qualité des prestations. Pourquoi les PME seraient-elles les seules à être fidèles aux fournisseurs dont elles sont contentes ? Si nous pensons qu'une enchère n'est pas uniquement destructrice de la valeur, nous y participerons. Il faut savoir que, pour certaines d'entre elles, l'élimination successive des candidats jusqu'au dernier peut prendre une demie journée. A chaque nouveau « round », chacun n'a que quelques minutes pour surenchérir à la baisse et décrémenter son offre. Le système est fondamentalement pernicieux.