Jean-Ludovic Silicani
Président de l'ARCEP

le 11/07/2011, par Charles de Laubier, RT Régulation télécoms

« Le renouvellement complet de notre infrastructure numérique est justifié ».

Jean-Ludovic Silicani

Président de l'Arcep depuis deux ans, Jean-Ludovic Silicani répond à Edition Multimédi@. Selon lui, les consommateurs « gagneraient à passer au très haut débit ». Des « indicateurs de qualité de service » sont en préparation. Parmi les nouveaux pouvoirs de l'Arcep : veiller à la neutralité du Net.

Edition Multimédi@ : Le nombre de foyers raccordables à la fibre optique à domicile (FTTH) dépasse tout juste 1 million en France, dont 140.000 seulement sont abonnés, soit 12 %. Comment expliquez-vous ce peu d'engouement, alors que l'on va investir près de 25 milliards d'euros sur 15 ans ?

Jean-Ludovic Silicani : On a beaucoup parlé ces derniers temps de l'absence d'une application phare qui déclencherait un large besoin des consommateurs. Or, je constate que la plupart des services que nous utilisons aujourd'hui sont en train d'évoluer et nécessitent des réseaux offrant une plus large bande passante et une meilleure qualité de service : télévision HD puis 3D, multiécrans, démocratisation du cloud computing, consommation et partage croissants de vidéos haute définition sur Internet... Les consommateurs découvrent progressivement ce qu'ils gagneraient à passer au très haut débit.

EM@ : La montée des débits sur cuivre, le VDSL2 aux sousrépartiteurs, la 4G et les satellites HD ne pourraient-ils par faire l'affaire pour le très haut débit pour tous ?

J-L. S. : Les besoins ne manquent pas et justifient un renouvellement complet de notre infrastructure numérique, comme dans un certain nombre d'autres pays. Sa simple mise à niveau, par le recours à certaines des technologies que vous citez, reviendrait à retarder un investissement nécessaire dans des réseaux FTTH (1). Toutefois, la montée en débit et, dans une certaine mesure la 4G, pourront permettre d'assurer, dans les territoires ruraux, un accès à des débits suffisants dans l'attente du déploiement de la fibre. C'est le sens des mesures prises en faveur de l'aménagement du territoire dans la procédure d'attribution des licences 4G.

EM@ : Le projet d'ordonnance du gouvernement pour transposer le Paquet télécom, censé l'être depuis le 25 mai 2011 (2), prévoit que l'Arcep aura des pouvoirs élargis pour, notamment, fixer le niveau de qualité minimale aux opérateurs/FAI et arbitrer les différends entre réseaux et contenus. Comment définir cette « qualité minimale », dans le fixe et le mobile ?

(1) Fiber-To-The- Home (FTTH)
(2) Le ministre de l'Economie numérique, Eric Besson, vient de lancer, jusqu'au 11 juillet, une consultation publique sur la transposition du Paquet télécom.



J-L. S. : Des travaux sur cette question sont actuellement en cours au sein de l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece) et une consultation publique devrait avoir lieu début 2012. Le maintien d'un degré élevé de concurrence reste néanmoins la meilleure garantie d'une qualité de service satisfaisante, lorsqu'elle s'accompagne d'un degré de transparence suffisant sur les offres et la qualité de service réellement fournie, et permet ainsi au consommateur de pouvoir comparer et choisir en pleine connaissance de cause. A cette fin, l'Autorité travaille à la définition d'indicateurs de qualité de service et à leur publication régulière par les opérateurs, conformément aux propositions sur la neutralité de l'Internet publiées en septembre 2010. Un encadrement de la gestion de trafic est également souhaitable, selon les critères définis par l'Autorité. Enfin, à l'issue de la transposition du cadre réglementaire européen, l'Arcep pourra être saisie de différends portant sur les conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic, non seulement entre opérateurs, mais également entre opérateurs et prestataires de services de la société de l'information.

EM@ : L'un des trois groupes de travail des CEO et financiers de la "Cross Industry Initiative" pilotés par Neelie Kroes, qui doit rendre ses conclusions le 13 juillet, est défavorable à l'idée avancée par la France d'une « terminaison d'appel data ». L'Arcep va-t-elle poursuivre la réflexion dans cette voie ?

J-L. S. : L'Autorité cherche avant tout à mieux cerner l'état exact de ce marché amont des relations contractuelles entre réseaux et contenus, son économie, les coûts sousjacents et les causes des tensions qui y règnent, dès lors qu'elle pourra être amenée, dans le cadre des nouvelles attributions résultant de la transposition du cadre communautaire, à devoir y régler des différends. A ce stade, l'Arcep ne mène donc pas d'étude spécifique sur la question d'une éventuelle « terminaison d'appel data ». En tout état de cause, la probabilité d'une régulation de ce marché amont est assez faible.

EM@ : Le gouvernement a soumis, le 12 juin dernier, un projet de décret de la loi LCEN de 2004 donnant pouvoir à des autorités administratives, comme l'Arcep ou l'Hadopi, d'ordonner aux FAI de bloquer ou filtrer des sites ou contenus sur Internet. L'Arcep a-t-elle été saisie par le gouvernement sur ce projet de décret, sur lequel le CNN a émis le 20 juin un avis défavorable ?

J-L. S. : L'Arcep n'est pas compétente sur ces questions, n'est absolument pas visée par le projet de décret en question et n'a donc pas été appelée à formuler un avis.

EM@ : Après l'épisode de la nomination d'un commissaire du gouvernement à l'Arcep rejetée par le Parlement, il reste l'idée du ministre Eric Besson d'un « rapprochement » entre CSA, Arcep et ANFR face à la convergence. Y êtes-vous favorables ?



J-L. S. : L'Autorité a récemment rappelé sa position sur ce sujet, maintes fois débattue. Ainsi que je l'avais indiqué l'an dernier devant les députés René Dosière et Christian Vanneste, dans le cadre de la préparation de leur rapport sur les autorités administratives indépendantes (3), la solution d'une autorité unique chargée à la fois de la régulation des réseaux et de celle des contenus, a été retenue dans des pays où cette dernière régulation est soit inexistante, soit minimale. Tel n'est pas le cas en France : le législateur a confié au CSA des missions de contrôle des contenus, ex ante et ex post, et de défense du pluralisme qui sont - et demeureront - étrangères à la régulation des réseaux de communications électroniques. La convergence numérique ne remet pas en cause cet état de fait. Interrogé par les parlementaires sur ce point, le ministre [Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État, ndlr] qui représentait le gouvernement a confirmé, le 17 mai 2011, qu'un rapprochement du CSA et de l'Arcep n'était ni souhaitable, ni nécessaire (4). Par ailleurs, l'Arcep, le CSA et l'ANFR collaborent étroitement afin d'assurer une gestion efficace du spectre radioélectrique et, conformément aux souhaits du ministre chargé de l'Economie numérique, se sont rapprochés, notamment, pour la définition d'un plan cible d'utilisation des fréquences.

EM@ : Le CNN est-il « utile » pour l'Arcep ?

J-L. S. : Le Conseil national du numérique a certainement une voix originale et pertinente à faire entendre sur beaucoup de questions qui intéressent l'Arcep. Nous avons établi des contacts et transmis des informations et documents au président du CNN [Gilles Babinet, ndlr].

EM@ : Dans les propositions de l'Arcep pour améliorer les offres aux consommateurs, il est question du manque d'interopérabilité de certains terminaux (box, mobile, ...) qui restreignent le choix et empêchent de quitter son opérateur. La TV connectée est aussi menacée de « walled garden ». Dans quels délais l'Arcep va-t-elle étudier des remèdes ?

J-L. S. : Les travaux en cours permettront de dresser un état des lieux d'ici au premier trimestre 2012, afin de mettre en évidence l'évolution des pratiques et fournir les éléments de diagnostic nécessaires à l'identification des questions que ces matériels peuvent poser. Aux deux bouts de l'acheminement du trafic, les moteurs de recherche comme les terminaux doivent, eux aussi, respecter le principe de neutralité.

@ Propos recueillis par Charles de Laubier

(3) - René Dosière (député apparenté PS) et Christian Vanneste (député UMP) ont remis leur rapport sur les «AAI » le 28octobre 2010.
(4) - « Il apparaît au gouvernement qu'il y a plus d'inconvénients que d'avantages à attendre d'une éventuelle fusion entre le CSA et l'Arcep. En effet, il s'agirait d'un choix politique qui pourrait remettre en cause le traitement spécifique accordé aux biens et services culturels, au titre de la politique constante de la France en matière de diversité culturelle. Sur le fond, cette fusion ne semble pas nécessaire puisque les deux autorités collaborent déjà de façon très étroite », avait expliqué Frédéric Lefebvre.