Michel Barnier
Commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services
« Il n'est pas prévu que l'Observatoire du piratage agisse comme une "Hadopi européenne" ».
Le commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services répond en exclusivité aux questions de Edition Multimédi@ : l'ACTA ne sera pas plus contraignant que la future directive DPI, notamment en matière de coopération des FAI dans la lutte contre le piratage sur Internet.
Edition Multimédi@ : Vous prévoyez au printemps 2012 la révision de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle (DPI). Il est notamment question de « coopération » des intermédiaires (1). Mais les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ne veulent pas être « les cyber-policiers du Web » : filtrer ou bloquer les contenus du Net ne suppose-t-il pas des lois spécifiques et le contrôle des juges ?
Michel Barnier : Comme cela a été indiqué dans le rapport de la Commission européenne du 22 décembre 2010 (2), les intermédiaires - notamment les prestataires de services Internet - se trouvent dans une position favorable pour contribuer à prévenir les infractions en ligne et à y mettre fin. A cause des spécificités de l'Internet, il n'est souvent pas possible pour les autorités chargées de la mise en oeuvre des lois sur la protection de la propriété intellectuelle d'intervenir sans l'aide de ces intermédiaires. Pour ces raisons, je suis convaincu qu'une participation plus active des intermédiaires dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage est indispensable, si nous voulons avoir du succès. Mais il n'est pas question de leur transférer des tâches qui incombent actuellement aux autorités publiques et judiciaires. Nous sommes en train d'étudier les situations dans les différents Etats membres et pays tiers, comme les Etats-Unis, et nous examinons les avantages et les inconvénients des solutions dans une étude d'impact détaillée (3). Cette dernière va être présentée avec la proposition législative dans le courant du premier semestre 2012.
EM@: L'Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC/ACTA) que doit adopter la Commission européenne dans les semaines à venir - le Traité ACAC devant être applicable à l'international fin 2011. L'ACAC ne sera-t-il pas plus contraignant (injonctions judiciaires aux FAI) que la future directive DPI ?
(1) Dans la communication COM (2011) 287 final du 24 mai publiée par la Commission européenne.
(2) Rapport sur l'application de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (COM(2010)779).
(3) - NDLR : La question sera notamment de savoir s'il faut d'autres « Hadopi » en Europe avec menace de coupure d'accès Internet.
EM@: L'Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC/ACTA) que doit adopter la Commission européenne dans les semaines à venir - le Traité ACAC devant être applicable à l'international fin 2011. L'ACAC ne sera-t-il pas plus contraignant (injonctions judiciaires aux FAI) que la future directive DPI ?
M. B. : Comme vous le savez, l'ACTA relève de la compétence de mon collègue, le commissaire européen Karel De Gucht [en charge du Commerce, ndlr]. Néanmoins, en ce qui concerne l'acquis qui relève de ma compétence, et donc notamment aussi la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle, j'ai toujours souligné que le texte de l'ACTA ne va pas au-delà de l'acquis communautaire actuel. Même si le contenu de la future directive n'est pas encore connu à ce stade, il n'y a pas de raison de présumer que l'ACTA sera plus contraignant.
EM@ : L'Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage verra ses compétences élargies en matière de « contrôle » et d'« alertes rapides » : interagira-t-il avec l'Hadopi en France ? En plus des « campagnes de sensibilisation du public », l'Observatoire pourra-t-il envoyer (comme « supra-Hadopi ») des e-mails d'avertissement aux internautes ?
M. B. : Les compétences futures de l'Office pour l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) - auquel les tâches de l'Observatoire devraient être confiées - sont décrites de manière détaillée dans la proposition de règlement adoptée par la Commission européenne le 24 mai (4). Celles-ci concernent essentiellement la collecte et l'analyse de données sur la contrefaçon et le piratage, l'échange des bonnes pratiques, la formation des fonctionnaires des autorités chargées de la mise en oeuvre de la protection des DPI, la sensibilisation des consommateurs, la recherche sur des techniques pour prévenir la contrefaçon et le piratage et la coopération internationale. Dans certains domaines, et surtout dans celui de la collecte des données, l'OHMI va certainement aussi coopérer avec l'Hadopi en France, comme avec tous les autres acteurs compétents en la matière dans les vingtsept pays de l'Union. Mais il n'est nullement prévu que l'OHMI agisse lui-même en tant que « Hadopi européen ».
EM@ : En quoi va consister la « gestion collective multiterritoriale » qui va être proposée au second semestre ? Pan-européenne ou nationale, la gestion collective doitelle bénéficier au téléchargement et au streaming comme au webcasting ?
(4) - Proposition de règlement confiant à l'OHMI certaines tâches liées à la protection des droits de propriété intellectuelle, notamment la convocation de représentants des secteurs public et privé dans le cadre d'un Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage (COM(2011) 288).
EM@ : En quoi va consister la « gestion collective multiterritoriale » qui va être proposée au second semestre ? Pan-européenne ou nationale, la gestion collective doitelle bénéficier au téléchargement et au streaming comme au webcasting ?
M. B. : Le défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, surtout dans un contexte numérique, est de trouver des solutions équilibrées afin de stimuler l'innovation et la promotion de la diversité culturelle et de permettre la rémunération de la création, tout en assurant son accessibilité et sa diffusion la plus large possible. Je vais donc proposer une directive pour faciliter une gestion intelligente et multi-territoriale des droits, qui repose sur deux volets : d'une part, établir un cadre afin de promouvoir une gestion collective efficace, transparente et démocratique dans tous les secteurs ; d'autre part, créer un cadre de gouvernance stable et transparent, afin que les droits d'auteur pour les nouvelles offres de musique en ligne puissent être délivrés rapidement, efficacement et simplement pour un ou plusieurs territoires.
EM@ : L'Europe réfléchit-elle à des « licences globales » payées par les FAI et/ou les internautes ?
M. B. : La question des « licences globales » n'a pas encore fait l'objet de débats au niveau européen dans le contexte de la gestion collective de droit.
EM@ : Où en est-on dans le recours en annulation de la Cisac contre la décision de la CE du 16/07/08 qui a condamné les « Sacem » pour entente illicite ?
M. B. : En ce qui concerne l'affaire Cisac (5), la Cour de justice européenne est en train d'examiner le cas et, par conséquent, un commentaire n'est pas approprié de ma part. Mais, ce que je peux dire à ce stade-ci, c'est que je me suis fortement engagé à promouvoir la transition vers une gestion collective plus transparente, fluide et simple, au bénéfice de tous : les fournisseurs de services innovants et d'offres légales, les ayants droits, les sociétés de gestion collective et les consommateurs, et au bénéfice du marché intérieur.
EM@ : Avec le débat sur la neutralité du Net, des industries culturelles demandent à ce que les opérateurs télécoms, les FAI et les acteurs du Web contribuent au financement des oeuvres (film, musique, programmes télé, ...) : va-t-on harmoniser en Europe les différents régimes sur le marché unique numérique : taxes "Cosip", taxes "copie privée", taxe "télécom" audiovisuelle, eTVA, chronologie des médias, etc. ?
(5) Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (Cisac).
EM@ : Avec le débat sur la neutralité du Net, des industries culturelles demandent à ce que les opérateurs télécoms, les FAI et les acteurs du Web contribuent au financement des oeuvres (film, musique, programmes télé, ...) : va-t-on harmoniser en Europe les différents régimes sur le marché unique numérique : taxes "Cosip", taxes "copie privée", taxe "télécom" audiovisuelle, eTVA, chronologie des médias, etc. ?
M. B. : Les questions de financement du contenu créatif, la nécessité d'introduire, ou non, des nouvelles taxes, de nouveaux impôts ou encore des prélèvements en ligne supplémentaires suscitent des opinions très animées, mais aussi très divisées. Et c'est pourquoi il est souhaitable d'avoir la participation et la consultation la plus large possible des parties prenantes pour résoudre ces questions. En fait, nous lancerons en juillet, par un livre vert, un débat sur les perspectives d'avenir pour les oeuvres audiovisuelles. La vidéo à la demande représente un potentiel de croissance important. Nous devons veiller à ce que les pratiques de financement et d'exploitation des oeuvres audiovisuelles puissent évoluer à la lumière des opportunités offertes par Internet. Je voudrais aussi relancer le travail avec toutes les parties prenantes pour un encadrement législatif européen plus efficace pour la copie privée. En somme, ma vision de la législation de la propriété intellectuelle est celle d'un outil de gouvernance afin d'optimiser les transactions entre les différentes parties prenantes et de traiter les différents secteurs créatifs de manière ciblée et individuelle.
Photo: Michel Barnier (D.R).
@ Propos recueillis par Charles de Laubier