Françoise Benhamou
Professeur d'économie
"L'e-Book ne concurrencera pas le livre traditionnel"
Avec la numérisation de milliers d'ouvrages et de catalogues d'éditeurs, le support électronique pourrait imposer un nouveau mode de lecture. Dans certains pays, ces changements d'habitude ont déjà commencé. Le Japon, par exemple, a multiplié sa consommation de livres numériques par deux entre 2006 et 2007. En France, le livre électronique Sony Reader, déjà commercialisé aux Etats-Unis depuis 2006, sortira à la mi-octobre au prix de 300 €.
Quel est, selon vous, l'avenir du livre numérique en France ?
Françoise Benhamou : C'est un domaine qui devrait séduire un certain public mais se limiter à des segments de marché. Pour l'instant, l'offre est assez réduite et ne concurrence pas le livre physique. L'offre numérique va devoir faire ses preuves, s'installer dans un délai assez long pour se faire une place. Je pense que le numérique se limitera à des micro-marchés comme les livres pratiques, universitaires, les essais, les encyclopédies ou encore les dictionnaires.
L'offre numérique semble encore assez limitée dans l'Hexagone. Pensez-vous que les éditeurs français sont trop frileux sur le sujet ?
F.B : Je ne pense pas que cette position soit typiquement française. Pour le moment, les éditeurs ne font pas preuve d'une réelle stratégie dans ce domaine. Ils n'ont pas encore, me semble-t-il, réfléchi véritablement aux segments de marchés liés au livre numérique. De plus, outre le choix limité de titres, l'offre existante me parait assez chère.
Le rapport Patino préconisait une législation sur la commercialisation du livre numérique. Faut-il copier le modèle des livres physiques et appliquer une loi sur le tarif unique pour le livre numérique ?
F.B : Il est important que les professionnels du secteur aient une réelle réflexion là-dessus. Je ne suis pas sûre que ce soit possible d'appliquer une telle loi dans le domaine numérique. De même, je ne pense pas qu'il soit opportun de réviser la loi sur le prix unique du livre actuellement. Mais le domaine numérique est différent. Il a surtout besoin d'un modèle, pas d'une loi. Je ne pense pas qu'une loi soit indispensable pour délimiter le marché. Le livre numérique a surtout besoin d'un modèle incitatif pour s'installer, trouver son public.
L'arrivée du numérique a provoqué dans le marché du disque une grave crise, notamment en raison du téléchargement illégal. Pensez-vous le livre puisse connaître le même sort en devenant à son tour un domaine menacé par le piratage ?
F.B : Le téléchargement illégal n'épargnera pas le livre numérique mais je pense que cette pratique devrait être beaucoup moins massive. Contrairement au marché du disque, les professionnels du livre ont intérêt à réfléchir à l'offre numérique de façon à ne pas dupliquer le modèle physique sur le domaine numérique. Les internautes n'achèteront pas un livre numérique au même prix qu'un ouvrage traditionnel. Les éditeurs devront mettre en place des offres attractives, réfléchir à des systèmes d'abonnements, des offres spéciales pour une connexion. Or, à ce jour la stratégie commerciale semble inexistante.
Biographie
Professeur d'économie, spécialisée dans la culture et les médias, Françoise Benhamou a écrit plusieurs ouvrages sur le marché du livre et la loi Lang. Membre du groupe d'analyse stratégique des industries culturelles et de communication auprès du ministre de la Culture, elle enseigne à l'Université de Rouen et au Centre d'économie de la Sorbonne.