Guillaume Monteux
Président fondateur de la société miLibris
« Face à Amazon, Google et Apple, nous redonnons le pouvoir aux éditeurs. »
Le président fondateur de la société miLibris, qui met sa plateforme numérique ouverte au service des éditeurs de presse, des maisons d'édition et des opérateurs télécoms (Orange, SFR), explique à EM@ comment ses clients apprécient de garder la maîtrise et le contrôle sur leurs contenus.
Edition Multimédi@ : Un consortium d'éditeurs (Editis, Gallimard, Seuil-La Martinière, Flammarion), d'opérateurs télécoms (Orange et SFR), et ePagine, ont élaboré un prototype de plateforme ouverte de gestion de bibliothèques personnelles en ligne (cloud) et ont déposé un dossier auprès du Grand emprunt : qu'en pensez-vous ?
Guillaume Monteux : Le modèle ouvert d'une bibliothèque personnelle en ligne est indispensable et nécessaire à l'adoption de la lecture en numérique. Acheter son livre ou sa publication auprès de tel ou tel distributeur ne doit pas être synonyme d'embrigadement dans l'application de ce dernier. Les livres, la presse, et plus généralement les contenus de l'écrit, doivent être accessibles et lisibles sur tous les écrans et indépendamment des technologies du libraire. C'est précisément ce que nous préparons au sein de la plateforme miLibris depuis maintenant trois ans. Le consortium auquel vous faites référence a aussi déposé un dossier de recherche et développement dans ce sens [auprès du Fonds national pour la société numérique (FSN) du Grand emprunt, ndlr].
Nous n'y participons pas pour faute de temps. Mais dans la mesure où nous sommes les partenaires exclusifs d'Orange et de SFR, nous suivrons ces travaux pour éventuellement les intégrer. Et ce, même si aujourd'hui miLibris a développé ses propres modèles ouverts de lecture numérique. Sous réserve d'un accord commercial entre les opérateurs, un lecteur qui aura par exemple acheté un abonnement « presse » chez SFR pourra continuer ses lectures s'il désire passer chez Orange. Et nous pourrions, pourquoi pas, tout à fait être aussi interopérables de la même manière avec des programmes libraires comme 1001libraires.com, Librairie.actualitte.com ou encore REA de Guillaume Decitre.
EM@ : Depuis novembre 2010, miLibris fournit la plateforme technique à Orange pour son kiosquenumérique « Read and Go », qui propose des livres numérique, des BD et de titres de presse. Ce partenariat porte-t-il ses fruits ?
G. M. : Les opérateurs télécoms sont les seuls acteurs à permettre un achat « en un clic », sans jamais avoir à renseigner son nom et ses coordonnées bancaires : tout se fait sur la facture (le mode de paiement pouvant se faire par carte bancaire, chèque ou prélèvement). D'un point de vue ergonomique, Read and Go d'Orange est un succès. Les ventes, elles, peuvent être considérées comme marginales pour les éditeurs mais le terminal sous Android est sorti en fin d'année 2010 et le site web a été mis en ligne mi-2011.
Le déploiement du service Read and Go n'en est qu'à son début : le contenu va être complété, par du manga, de la presse régionale et étrangère, des livres, etc... De nouveaux terminaux vont accueillir l'application Read and Go et le service devrait être intégré dès cette année 2012 à des packs opérateurs. Après Orange qui nous a séduit par son approche qualitative et respectueuse des règles du monde de l'édition et de la presse, l'arrivée prochaine de SFR sur ce marché - en partenariat avec miLibris - va être aussi un vecteur très fort d'adoption et de ventes.
EM@ : Vous avez en effet récemment été retenu par SFR pour lui fournir l'interface de gestion unique pour sa future plateforme « de l'écrit » (livre, presse, BD) accessible notamment via la liseuse « Kobo by Fnac » (distribuée aussi par SFR). Selon nos informations, SFR devrait lancer son kiosque au second semestre 2012...
G. M. : Je ne peux évidemment pas me prononcer sur la stratégie de SFR, qui, on le sait, a des ambitions très fortes sur le contenu et plus particulièrement sur l'écrit. (...)
Ses responsables ont lancé un appel d'offres que nous avons remporté en février. Le programme de lecture en numérique est en cours de déploiement. Là encore, il ne faut pas se tromper : un acteur de cette taille a l'obligation de proposer à ses clients une offre de qualité, avec des technologies robustes et capables de supporter la charge. Une fois la qualité garantie, le catalogue sera enrichi.
EM@ : MiLibris fournit aussi Prisma Presse, Ouest France, Le Nouvel Obs, Le Point, L'Equipe, Le Figaro ou encore le GIE E-presse. Et dans l'édition ?
G. M. : C'est vrai que nos technologies ont vraiment trouvé leur public dans le domaine de la presse, laquelle maîtrise pourtant l'outil informatique depuis des années. Ce qui n'est pas le cas des maisons d'édition qui sont jusqu'à aujourd'hui encore retranchées derrière leurs entrepôts respectifs. Nous allons les rencontrer une à une et leur montrer que si de nombreux clients dans la presse nous font l'honneur de nous retenir pour dessiner leur futur numérique, nous pouvons aussi être d'un recours pour l'édition. D'autant que, via Orange, nous traitons d'ores et déjà plusieurs milliers de titres en provenance des éditeurs.
En tant que société française indépendante, et accréditée par la Bibliothèque nationale de France (BnF), nous devrions au moins être entendus !
EM@ : Pourquoi adopter miLibris face à Apple, Amazon ou Google ? Faites-vous mieux que 70/30 (iTunes) ou 90/10 (One Pass) ? Les éditeurs ont-ils accès aux données clients ?
G. M. : Ce que nous apportons de plus qu'un Apple, un Amazon ou un Google, c'est de (re)donner le pouvoir aux éditeurs. Et leur permettre de contrôler la distribution de leurs catalogues numériques. J'ai d'ailleurs fondé cette société pour cette raison très précise. En utilisant nos technologies, les éditeurs gardent la maîtrise : de la diffusion de leurs oeuvres, des prix auxquels celles-ci sont distribuées et des conditions particulières de ventes. Les éditeurs ont un contrôle temps réel sur les retours de lecture et les statistiques de ventes de leurs publications, par canal de vente. Lorsqu'ils syndiquent leurs contenus sous leur propre marque, les éditeurs sont les seuls à détenir les coordonnées du client et ils encaissent 100 % du chiffres d'affaire. Puis c'est eux qui, en fin de compte, remunèrent la chaîne de valeur. Ne nous trompons pas : l'Internet, c'est la désintermédiation. Les plates-formes, autant d'un point de vue technique que commercial, ne pourront pas se multiplier pour des questions de rentabilité des libraires et des éditeurs.
EM@ : Comment expliquez-vous que la presse française a du mal avec Apple (Newsstand) et Google (One Pass), retardant le forfait sur le kiosque E-presse ? Et avec Amazon ?
G. M. : Les intérêts d'Apple ne sont pas exactement en phase avec ceux des éditeurs. C'est un peu du « Je t'aime, moi non plus » ! Apple investit énormément dans l'iBookstore et dans le Newsstand pour faciliter et augmenter les ventes des ouvrages. Le prix à payer par l'éditeur est le partage de la donnée client et 30 % du CA, mais pas seulement car les lecteurs prennent des habitudes sur lesquelles il est difficile de revenir. De la même manière que nous en prenons en choisissant tel ou tel chemin entre deux points. Alors, faut-il aller donner son contenu aux grands acteurs ? Nous ne pouvons pas répondre à cette question pour nos clients. Si c'était à « refaire », les maisons de disques ou les majors auraient-elles redonné leurs contenus aux grands distributeurs ? A chacun d'imaginer son futur numérique. Nous nous « contentons » de développer des technologies compatibles avec les stores d'Apple, de Google, d'Amazon ou de Microsoft.
EM@ : L'avenir est-il aux plates-formes ouvertes ?
G. M. : Je crois plus aux bibliothèques personnelles universelles. Et nous travaillons jour et nuit pour jouer un rôle majeur et pérenne sur la chaîne de l'écrit numérique.
@ Propos recueillis par Charles de Laubier