Pour perdre un fichier : conservez-le
BBC Online se penche, de manière fort bien vulgarisée, sur l'éternel problème de la pérennité des données archivées. Le stockage, bombe à retardement des temps modernes, çà n'est hélas plus un secret pour personne. La durée de vie des supports optiques ou magnétiques, des technologies de lecture -qui donc possède encore un adaptateur pour disque dur MFM ou un dérouleur Control Data ?-, la masse croissante d'informations à conserver sont autant d'écueils menaçant l'ethnohistoire de notre époque. En d'autres termes, on n'a encore rien fait de mieux que le papier lorsqu'il s'agit de transmettre aux générations futures. L'article de nos confrères britanniques envisage le problème essentiellement sous l'angle du format de fichier, et semble croire en l'avènement d'un lendemain radieux garanti par l'adoption généralisée de formats « open ». Reste à savoir combien de temps le « format open » en question saura tenir tête aux années. Après tout, l'Ascii « 7 bits US » était également un « format open » qui n'a pas franchement survécu dans les bibliothèques numériques modernes. Le métier d'archiviste, peu à peu, se transforme donc en métier de « transcodeur à temps plein », transcodeur de formats propriétaires sur disque dur en formats ouverts sur CD-Rom dans un premier temps, puis transcodeur d'open version 1.x en version n.x sur « DVD perhaps very high long life ». Vision dangereusement inconséquente partant du principe que toujours, les archives seront surveillées par un Archiviste immortel, une sorte de gardien du temple qui traversera les siècles pour entretenir son trésor documentaire. Il s'appelait comment, le transcodeur de format hiéroglyphique en format hiératique de Monsieur Ramses ? Sans même aller chercher si loin, n'oublions pas qu'une langue disparaît de notre planète tous les quinze jours, et que sur ce tas de cadavres, l'on ne retrouve que très rarement des dictionnaires ou des grammaires destinées à décoder les legs épistolaires. Alors, que dire des standards de fichiers, d'enregistrements, de recherche d'information... Se pose également la question de la conservation du support. Malgré des budgets pharaoniques consacrés à la constitution de Grandes Bibliothèques, nulle nation, nulle institution internationale n'a jugé utile d'investir de manière volontariste dans un programme de recherche et développement sur le sujet. Les supports qui résistent à l'usure du temps ne sont pas légion... le papier... le verre... la pierre... et c'est pratiquement tout. Peut-on rêver qu'un jour l'on parvienne à l'établissement d'un procédé d'écriture genre « enregistrement holographique sur cube de verre » dégagé de tout brevet et accessible à tous ? Si la réponse à cette question est « non », il serait peut-être temps de reboiser l'Amérique du Sud et d'acheter un stock d'imprimantes très résistantes. Que dire également des effets de bord produits par les mécanismes de protection des données ? Car, s'il parait légitime que Madame Michèle Alliot-Marie souhaite limiter la diffusion d'une note relevant de la sureté de l'Etat, il semble tout aussi nécessaire que cette même note puisse être un jour dégagée de tout chiffrement lorsque qu'un historien du XXIIeme siècle envisagera de pondre une thèse sur l'émergence de l'industrie des caméras de surveillance dans le bas-Cantal pré-numérique. Et ce qui est valable pour une note de Grand Commis de l'Etat l'est également pour un roman, un enregistrement musical ou un contenu cinématographique. Ce qui touche les archives historiques, fait remarquer l'article du Times, concerne aussi nos contemporains à une plus petite échelle. Archives personnelles ou d'entreprise, la conservation des données, légales ou affectives, dépasse bien souvent la capacité technique des usagers. La seule chose qui soit certaine, c'est que la bouée de secours du transcodage systématique n'est qu'un pis-aller, une manière de ne surtout pas ouvrir la boite de pandore du stockage en voie d'explosion.