Nortel France : lourds licenciements menés depuis l'Angleterre
Ce qui se passe chez Nortel France dépasse largement le cadre habituel de la refonte des équipementiers télécoms mis à mal par la crise. Les procédures juridiques du plan social sont inédites car dirigées depuis l'entité britannique de Nortel.
Ne pas confondre Nortel Networks SA et Nortel Networks France. L'une et l'autre sont filiales du groupe canadien Nortel et ont leur siège à Châteaufort près de Guyancourt dans les Yvelines. Mais leur sort est différent. Nortel Networks France, la filiale commerciale, compte 130 collaborateurs en France et échappe, pour l'instant, au couperet de la restructuration. Sa soeur, Nortel Networks SA (NNSA) en revanche, dédiée à l'équipement des réseaux mobiles, verra disparaître 500 de ses 700 collaborateurs actuels. Ce plan social aura lieu d'ici à mi juin. Les salariés restant, 200, maintiendront les réseaux GSM équipés par Nortel en attendant un repreneur. Une réunion s'est tenue le lundi 25 mai après-midi au Tribunal de commerce de Versailles pour entériner cette double décision : licenciements et procédure judiciaire permettant la revente. Cette réunion est totalement inédite au plan juridique. En effet, les filiales de Nortel France sont placées pour l'opération liquidative sous l'autorité de la filiale anglaise. Une procédure autorisée par la directive européenne 1346/2000 par laquelle une société peut diriger une procédure judiciaire depuis un pays pour l'ensemble de l'Europe. Nortel utilise ce biais pour ses 17 filiales en Europe qui sont dirigées pour les procédures juridiques par l'Angleterre et par le cabinet Ernst & Young. C'est l'administrateur judiciaire anglais qui discute avec le Tribunal de commerce français. Nortel a en fait cherché ... Photo : les installations de Nortel à Châteaufort (D.R.) ... à appliquer la même procédure partout dans le monde. Utilisant le CCAA au Canada, le Chapter 11 aux Etats-Unis et le Insolvency Act en Grande-Bretagne. Ne trouvant pas d'équivalent pour le reste de l'Europe, Nortel, « bien conseillé », a donc déniché la directive 1346/2000 pour engager des procédures dites secondaires dans toute l'Europe, sachant que la procédure principale est ouverte en Grande-Bretagne. Le canadien Nortel préfère logiquement un pays anglo-saxon. Toutefois, l'article 10 de la directive européenne garantit que le droit national sera appliqué dans chaque pays. Une sécurité, notamment en France où le droit du travail, et celui des licenciements, est plus favorable que dans les pays anglo-saxons. Les salariés de Nortel France recevront ce qui est prévu dans les textes de lois français. Le délégué central CFTC que nous avons interviewé voulait se battre pour obtenir en plus des primes de licenciements. Il estime également que Nortel s'en tire à bon compte, faisant remarquer que la société ne supportera qu'a minima le coût des licenciements qui sera assuré par l'AGS, Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés. Le plan social sera également allégé, la procédure demandée par Nortel évite par exemple le PSE (Plan de Sauvegarde de l'emploi). Il n'y aura par exemple ... ... qu'une seule consultation du comité d'entreprise obligatoire au lieu de deux. La CFTC attire également notre attention sur deux autres points. D'abord les délais demandés. Le Tribunal accorde deux fois trois mois à Nortel pour trouver un repreneur à NNSA. Le délai pour une telle procédure est plutôt de neuf mois fait remarquer le syndicat. Autre sujet, le syndicat relève que des sommes ont été transférées de NNSA France vers NNSA Grande-Bretagne. La France est en effet l'un des quatre centres mondiaux de R&D de Nortel dans le monde. Un contrat permettait à la maison mère d'injecter de l'argent dans ces quatre centres en cas de profit, mais en cas de pertes, c'est l'inverse qui s'applique, permettant à Nortel de rapatrier des fonds. Or, tous les fonds transférés échappent à la procédure en cours et ne serviront pas à indemniser les salariés français. Le dossier Nortel contient d'autres volets. Les opérateurs télécoms clients de Nortel sont nécessairement très vigilants en ce qui concerne le repreneur. Il en va de la maintenance de leurs réseaux. Quant aux partenaires distributeurs, ils sont déjà inlassablement sollicités par les concurrents du canadien. La CFTC de Nortel a rencontré le cabinet de Christine Lagarde vendredi dernier pour expliquer la situation et montrer l'ampleur du dossier.