Microsoft et les dangers du développement écologique
A lire nos éminents et doctes confrères, la « bombe de la semaine » * serait le « Home Media Server » présenté par Microsoft dans le cadre du dernier Consumer Electronic Show. Et, pour résumer la pensée générale : c'est génial, c'est nouveau, c'est Hype, çà branche tout, de la chaine HiFi au dernier jeu Xbox 360 en passant par la Microsoft IP-TV et le Grand Internet Universel
Sauf que...
Sauf que « çà » n'est pas franchement nouveau, que cela n'a strictement rien de « hype », qu'il y a très peu de chance que « çà » puisse tout brancher, à moins que « tout » se résume à une définition Microsoftienne de l'univers audio-vidéo. C'est là une vision très écologique, somme toute, car elle ne fait que recycler des idées et des pratiques que la Windows Company maîtrise depuis parfois plusieurs décennies, et qu'elle ressasse, jusqu'à ce qu'elles soient adoptées.
Pas nouveau, le « home server ». C'est en fait une très vieille idée que caresse Microsoft depuis quelques années. Déjà, il y a plus de 7 ans, Jim Allchin en présentait un lors d'une « developer's conference » à San Diego. Une machine qui devait à l'époque demeurer « cachée dans une armoire ou dans les soubassements de la maison », chargée de concentrer les accès Internet, les outils de filtrage et de sécurité, de se brancher sur des « feed » de vidéo à la demande, de faire communiquer les milles et une applications du « home office » et -déjà- des « pay TV », sans oublier les traditionnelles fonctions de télésurveillance et d'anti-intrusion chères aux américains. Un super-appliance domotique. Un mantra immédiatement décliné lors des conférences WinHEC successives, indiquant clairement la fin prochaine du « cable guys » (installateur des cablo-opérateurs) au profit du « computer guy » (celui qui possède le bon SDK). Rappelons qu'à l'époque, Larry Ellison, l'ennemi juré, s'engageait lui aussi sur le chemin des « set top boxes » et des noyaux embarqués.
Pas nouveau non plus d'un point de vue technique, car comment peut-on appeler une machine serveur communicante, à faible empreinte mémoire, sans les inutilités réservées aux grandes entreprises, essentiellement dédiée à des fonctions de stockage/partage, avec deux ou trois applications centrales servant de pivot et un nombre limité de connexions simultanées ? Il n'y a pas si longtemps, n'importe quel « progman » Microsoft aurait immédiatement répondu : «Mais vous parlez de SBS, Small Business Serveur », cette suite backoffice destinée aux PME et artisans.
Pas « Hype », puis que l'idée même de centre multimédia informatique est depuis fort longtemps un axe de recherche et une convoitise des grands de l'électronique grand public. L'on peut faire remonter cette préhistoire, par exemple, aux présentations de Thomson, époque tube cathodique grand écran et ordinateur TO7, le tout relié par le réseau à intégration de service le plus rapide du monde, Numéris, et « interactivisé » à coup de messages (on dirait « feed » aujourd'hui) au format Antiope. Déjà, cette plateforme nous promettait des jeux, le programme TV de la semaine, la météo du jour, les informations en bref, l'horoscope du mois, un agenda personnel, une base d'adresses et même un accès au réseau mondial... du Minitel, ce qu'aujourd'hui n'importe quel téléphone cellulaire est capable d'offrir à un abonné. Depuis ces temps immémoriaux, les projets ont fleuri, notamment dans le domaine Open Source, autour d'un mot, autour d'un sigle : HTPC, pour Home Theater PC, rapidement suivi d'héritiers de plus en plus sophistiqués, ainsi XBMC ou MediaPortal pour n'en citer que deux.
MS réinvente le standard VHS **
VHS pour Vista Home Server,bien entendu, évolution réseau naturelle du Vista Media Center Edition et de son petit frère le Zune. Et l'on voit se répéter l'histoire de Microsoft, avec les mêmes recettes, les mêmes approches, les mêmes promesses. C'est avec cette stratégie que le « dernier de la classe » s'est offert la peau de CP/M. C'est avec cette identique progression que le très explosif Windows 1.0 (aka « we believe in magic ») a occis ses concurrents d'alors, bien plus stables, biens mieux distribués tels que Deskview ou Gem. C'est de cette semblable manière qu'un outsider du réseau a pu, à coup de « client IPS/SPX » et de « Netware Services », s'offrir la peau du principal acteur du monde réseau et imposer Netbeui, ses serveurs, ses services, ses applications. C'est avec des pratiques analogues que le très instable Pegasus est devenu l'omniprésent Windows CE. Pour Microsoft, l'important n'est pas d'arriver avant les autres, mais de savoir insister assez longtemps, quel qu'en soit le prix, quitte à opérer de multiples résurrections. Souvenons-nous des 5 ou 6 générations de « tablet PC » et proches cousins : Tout commence par une offre « ouverte » (à tout hasard et par exemple, l'abolition de la notion de licence utilisateur sur Windows NT 3.1), une intégration plus riche que la concurrence (fusion des fonctions OS/2 DB et DC dans un seul et même système), jusqu'à ce que le poisson morde. Il sera toujours temps de revenir sur certains principes un peu trop libéraux par la suite... les coûts de la migration précédente dissuadant les nouveaux venus à retenter l'expérience d'un exode vers un noyau plus prometteur... s'il en existe encore un une fois cette prise de conscience effectuée. Non, ce n'est pas du dumping, c'est de la concurrence réfléchie.
Avec Media Server, Microsoft propose donc l'institution d'un « standard VHS », une machine UPnP, ouverte et conforme à la norme DLNA, celle du Digital Living Network Alliance. Il faut s'attendre à voir fleurir une foultitude d'appareils « compatibles », entendons par là capables de converser entre eux sur des formats très précis, parmi lesquels il ne faut surtout pas chercher les mots MP3 et AVI, exempts de la liste des formats DLNA. Des formats quasiment immuables, conçus pour que jamais ne soit compromise la « chaîne de protection des oeuvres », le sacro-saint DRM. Et c'est principalement pour cette raison que Media Serveur n'est pas sorti plus tôt, dépourvu jusqu'alors de ce fameux noyau Vista, de sa structure à intégrité renforcée « patchguard » et de son optique TCG. Un renforcement du contenu propriétaire et filtré comme l'implique également le lecteur « Blue Ray » à blocage d'oeuvre renforcé de la Xbox dernier cri, les limitations du baladeurs Zune aux fonctions tant décriées par la presse américaine alors qu'il était si prometteur « sur le papier », le service « live » de vente de médias et ses satellites prévisibles... Ce à quoi l'on doit ajouter toutes les contraintes d'usage déjà dénoncées dans Vista et que l'on retrouvera dans Home Server.
Avec un tel programme, il est certain que Microsoft ne pourra que s'attirer la sympathie des éditeurs de musiques et oeuvres électroniques de toutes formes, des équipementiers, des fabricants du monde de l'électronique de loisir en quête de nouveaux débouchés. Sympathie d'autant plus grande que le report des technologies de « protection » au niveau matériel disculpera les Sony Music et autres membre du RIAA des accusations de prise en otage des oeuvres reproduites. Microsoft a l'habitude de jouer les paratonnerres. Ajoutons que les désagréments et autres dommages collatéraux provoqués par ces dites protections n'attirent pour l'instant les critiques que d'un petit cénacle d'initiés. Protégées ou non, les ventes de variétés se portent comme un charme jusqu'à présent. Si en plus elles peuvent être interprétées dans un ensemble « high tech »...
Idem sur le plan matériel. Après avoir suscité les ricanements des possesseurs de consoles de jeu japonaises, après avoir déchaîné l'hilarité des groupies de l'iPod et essuyé sans broncher les lazzi des linuxiens et autres MacOS/Xistes, Microsoft « offre » la première solution d'ensemble intégrant à la fois le monde du jeu -Xbox-, de la Vidéo broadcast -Microsoft IP-TV-, de la musique -Media Players, Live et accessoires-, du transfert sur des unités mobiles, tant téléphone que baladeur -Windows CE-, du stockage -Home Media Server-, des flux Internet... « Je ne suis peut-être pas le meilleur de partout, semble dire William Gates, mais je suis le seul à proposer un ensemble cohérent qui réponde à une véritable norme -même si c'est MA norme-, et qui canalise l'information multimédia de la production à la consommation ». C'est aujourd'hui que l'on s'aperçoit que jamais MS ne s'est véritablement battu sur le créneau de la console de jeu, que pas une seule fois il n'a livré bataille contre l'iPod d'Apple, qu'en aucune manière il n'a cherché à concurrencer les câblo-opérateurs ou grappiller des parts de marché aux fournisseurs de services téléphoniques. A l'insu de tous, sa stratégie d'encerclement progressive était définie, son ambition allait bien au-delà. Après tout, les médias reviennent du CES en chantant « c'est beau, ça vient de sortir », ce qui prouve au moins que le pouvoir de séduction de Microsoft est encore étonnamment ravageur.
* NdlC Note de la Correctrice : A quelques téléphones musicaux près, destinés au marché des Techno-Fashion-Victims... « T'as vu l'iPhone ? Il est trooooop bien ! » me susurrait mon ado d'héritière tout en accompagnant d'un regard méprisant son « antique » cellulaire Motorola déjà âgé de 2 longs mois. On voit que Monsieur Jobs, y doit pas être papa d'une adoratrice de Beyonce et du Speed SMS World Cup. Du coup, à la rédaction de CSO France, nous avons déposé les statuts de la LRPRLCITD (Ligue Révolutionnaire des Parents Révoltés Luttant Contre l'Inflation Technologique Dispendieuse) -section locale de la CGT, Confédération des Géniteurs Téléphonophobes.
** NdlR : Cette VHS-là, elle n'est pas de la rédaction de CSO France, mais de « Manu », un grand Microsoftotechnologue connu et respecté.