Lorsque les éditeurs piratent les éditeurs
Scandale dans le petit monde du piano période romantique et baroque : Joyce Hatto, interprète anglaise récemment décédée à l'âge de 77ans des suites d'un long cancer, lègue à la postérité un impressionnant héritage de près de 120 CDs, chacun d'une qualité d'interprétation et d'une virtuosité exceptionnelle. Même les plus grands sont écrasés par l'impressionnante oeuvre enregistrée de cette mystérieuse artiste, qui ne se produisait plus en public depuis 1976. Mais il semble que ces chefs-d'oeuvre ne seraient en fait que des plagiats numériques. La fraude est découverte le jour où un journaliste de Gramophone insère l'un de ces CDs dans son ordinateur, lequel CD se fait identifier par la base CDDB comme une interprétation de Laszlo Simon. La suite technique de l'enquête est à lire sur Pristine Classical, qui déclare retrouver des dizaines de « vols caractérisés », de recopies pures et simples des travaux de Nojima, Grante, Bronfman, Indjic et même Vladimir Ashkenazy dont le touché est aussi reconnaissable que sa production pléthorique. Les oeuvres -ou du moins certaines de ces oeuvres- étaient, affirment les musicologues, repiquées, puis légèrement compressées ou filtrées à l'aide d'un outil de traitement audio numérique, afin, parfois, de légèrement accélérer le mouvement ou modifier le timbre de l'instrument. La supercherie était d'autant mieux voilée que le studio dans lequel était censé travailler Joyce Hatto appartenait à son époux. Personne ne pouvait ainsi témoigner des séances d'enregistrement, et encore moins du travail de post-production effectué en cabine. La communauté musicale réagit furioso, ma non tropo. A peine révélée que l'affaire faisait l'objet d'un article dans Wikipedia. Les critiques musicaux du monde entier crient au scandale, mais mezzo voce ... dans un univers où l'on qualifie de révolutionnaire ou de choquant le travail d'un Boulez en train de décaper les habitudes d'audition forgées à coup de Knappertsbusch, on admet mal s'être laissé mystifier par un bricolo sachant mieux jouer avec Cubase qu'avec un Steinway. Mais, parmi toutes ces trompettes de l'apocalypse, un instrument résonne d'un assourdissant silence. C'est la grosse caisse des « major » de l'industrie du disque, celle-là même qui frappe à coups redoublés lorsqu'un ado joue un peu trop de la clarE-mule ou entonne le chorus « Du, Azureus, meine Freude ». Eloquent mutisme que les journalistes de la presse spécialisée ne semblent pas avoir remarqué. Pensez donc... un « label », petit, certes, mais membre de la famille des dignes presseurs de disques, qui non seulement se permet de pirater des interprétations dûment commercialisées, mais qui, en outre, ose en tirer bien des bénéfices financiers ! Un docte membre de la Nomenklatura des zauteurscompositeursinterprètes qui se vautre dans l'opprobre du plagiat, la fange du détournement, et jette l'anathème sur la très élitiste communauté de la musique classique, celle qui ne passera jamais au hit parade de Charly et Lulu. Y'a de quoi faire retourner Chopin dans son Gaveau de famille. Comme quoi, le silence après la hargne du RIAA, c'est encore du RIAA.