Les DRM sonnent encore le glas du Savoir
Personne n'aura manqué de lire « MSN Music Purchases Not Compatible with Zune » publié par Slashdot, lequel fait référence à un article de la BBC. Articles qui prévient de l'incompatibilité du nouveau lecteur audio numérique de Microsoft avec les mécanismes DRM du défunt MSN Music, ex-vendeur de chansonnettes en ligne, filiale de ce même Microsoft. Un hiatus déjà signalé quelques jours auparavant par Standblog. Une fois de plus, la sécurité est prise pour prétexte.
Avec la « dématérialisation » des contenus artistiques, autrement dit la mise au numérique protégé des musiques -MP3- des photographies, tableaux et films -Jpeg/Mpeg- et, de plus en plus, des livres -PDF, LIT-, l'usager se voit dépossédé de ses propres achats, après une période excessivement courte liée à la faible durée de vie de son baladeur, ordinateur, livre électronique... Ceci grâce aux mécanismes de protection imposé par les éditeurs, avec la complicité de quelques Ministres aveuglés par les manoeuvres d'un groupuscule de lobbyistes adroits.
Cette sinistre affaire Microsoft remet en mémoire à l'indigne auteur de ces lignes, une conversation totalement informelle et fort instructive avec l'un des avocats défenseurs de la Cause Dadvsi, à l'occasion d'un de ces nombreux « festivals de la sécurité » qui fleurissent en automne sur la Côte d'Azur. Ce docte membre du barreau, qui plaida la cause de la « défense du droit des éditeurs », insistait sur le fait que le « numérique permettait d'obtenir, après copie d'un CD, un fichier aussi fidèle que l'original... et que cette absence de perte de qualité représentait un danger par le simple fait que rien ne distinguait l'imitation du véritable objet commercial... ce qui n'était pas le cas avec les anciennes technologies ». Le point serait effectivement acceptable si seulement le niveau de qualité d'un CD arrivait à la cheville d'un bon vinyle. Le point serait également acceptable si le fait était franchement nouveau... hors, depuis un bon siècle, le principe même de la photographie repose sur la possibilité d'une multitude de « tirages » aussi semblables les uns d'avec les autres, tant que l'on utilise le même négatif. Négatif qui peut également être dupliqué (scanné dit-on à notre époque) sans perte remarquable. Nulle prise de conscience, en revanche, sur l'aspect éphémère des supports numériques si chèrement défendus. « Il en va de même pour les vieux disques, plus personne n'en possède » répliquait notre porteur de robe. Et d'un effet de manche, les 78 tours disparaissent des collections, les vinyles des sixties succombent sur l'heure. Il suffit de le dire, et malheur aux rares collectionneurs : ils sont minoritaires, has been, dépassés, morts... c'est bien simple, ils n'existent même pas. Et ce qu'ils écoutent n'a même jamais été, puisque Sony Music ou Universal a décidé de ne plus le ré-éditer... pas assez rentable.
Demain, ce sera au tour des livres. Car la culture populaire, celle du Savoir à pas cher, celle du Livre de Poche, passera elle aussi au « dématérialisé », au binaire sur écran LCD. C'est une affaire de 2 ans, tout au plus... allez, 5ans, et n'y revenons plus. Dans 20 ans, donc, la bibliothèque de l'homme du XXIeme siècle sera constituée en tout et pour tout d'une centaine d'ouvrages -guère plus, les plus anciens ayant succombé avec le dernier disque dur-, intransmissibles, et qui jamais ne seront lus des années plus tard par nos descendants. Des enfants, petits enfants, arrières petits enfants qui ne pourront plus dire « y sont vachement bien, les Jules Vernes qu'on a déniché dans les archives du vieux schnock ». Les plus grandes richesses que l'on peut léguer ne sont pas toujours celles qui se transmettent par papier timbré et droit de mainmorte. N'en déplaisent aux gens de loi.
Aux défenseurs des DRM...
... on ne peut nier le droit de « faire du business ». Que l'on vende du potage en boîte, l'intégrale de Britney ou les oeuvres complètes de Balzac en vélin d'Ascii sauvage couché sur écran 18 pouces in-quarto, il est légitime de chercher à protéger le fruit de son propre travail contre les actes de piratage. Charge au législateur d'obliger l'éditeur -ce qu'il (le législateur) s'est avéré incapable de faire jusqu'à présent : fournir, avec la reproduction d'oeuvre protégée, un outil de transfert illimité dans le temps et sur le nombre d'usage. La généralisation des lecteurs MP3 a ouvert de nouveaux modes d'utilisation. Et notamment la pratique de « la musique du jour », activité consistant à remplir un baladeur le matin pour s'agrémenter les oneilles le jour durant, puis à l'effacer le soir, afin de varier les plaisirs 24H après. Les dispositifs intégrant un nombre de copies limité sont inadaptés à ce genre de pratique, car conçu par des personnes n'écoutant manifestement pas de musique ailleurs que dans un studio. Avec l'utilisation de standards ouverts, il ne devrait pas être difficile à un Microsoft ou à un Apple de concevoir un système anti « reproduction massive » qui permette à la fois la préservation de leurs intérêts et la transmissibilité du contenu entre différentes plateformes. Ils le font bien avec leurs logiciels...
Aux défenseurs des DRM, on ne peut refuser la possibilité de conserver, un temps durant, les « droits » qu'ils ont acquis au prix parfois de recherches et d'investissements phénoménaux. Mais un « temps durant » seulement, en incluant dans ces fameux DRM et outils de transferts associés, une date de péremption ne pouvant dépasser une certaine limite. Car, ce que n'a pas vu le législateur, obnubilé par l'urgence du quotidien, c'est qu'en pratique cette notion de DRM est établie sans la moindre limitation temporelle... autrement dit pour les siècles à venir. Un problème qui a échappé également à une majorité d'artistes, hélas. Peut-on imaginer - alors que le droit d'auteur lui-même est limité à 70 ans après décès de l'artiste - que les industriels chargés de la « reproduction de l'oeuvre » puissent détenir un droit régalien plus important que celui du créateur ? Une telle idée est inique. Ce qui fait un produit artistique n'est pas sa nature -musique, écriture, photographie... - mais le jugement de l'histoire. Britney tombera dans les poubelles de la gloire, Bach continuera à être Bach. Un DRM éternel, non encadré et limité temporellement par la loi consisterait à donner à une profession le droit de prendre en otage toute production intellectuelle par le simple acte de reproduction. Permettons donc à Britney de vivre confortablement tant que ses armées de groupies le permettront, mais veillons à ce qu'aucun marchand de la reproduction ne puissent, par une loi très discutable et irréfléchie, détenir le pouvoir de s'accaparer Bach. Ce serait assassiner le patrimoine
Aux défenseurs des DRM, enfin, il serait bon que cesse immédiatement cette pratique du « double langage », consistant à vanter les mérites de la« liberté numérique », du « téléchargement sur Internet », qui sont autant de pratiques incitatives au piratage. Cette attitude pousse au crime n'a rien à envier à tout ce que l'on peut reprocher à l'image du « cow-boy Marlboro » qui, sous une apparente liberté, soumet l'usager à une addiction mortelle. Que l'on cesse, une fois pour toute, de parler de « téléchargement sur Internet », mais de « vente en ligne ». Que l'on chasse du vocabulaire des entreprises commerciales toute référence à la « musique gratuite », aux « films libres de droits », aux « images récupérables immédiatement ». Les auteurs qui ont le courage de placer leurs oeuvres sous licence « libre » n'ont nullement besoin de la publicité des Microsoft, des Apple, des Sony et de leurs collègues. L'amalgame pernicieux effectué par ce genre de discours devrait être fortement condamné, réprimé pour publicité mensongère, avec un zèle aussi impitoyable que celui des agents de la Sacem ou des avocats du RIAA.
Une fois ces quelques points de vocabulaires résolus, le DRM, çà sera comme les romans de Jules Vernes du vieux schnock : vachement bien.