Le Plan France très haut débit ne sera pas réalisé, comme prévu, en 2022
Avant le 6 décembre, l'Arcep doit publier ses lignes directrices pour la tarification des réseaux d'initiative publique. Un élément très attendu, les collectivités locales accumulant les déconvenues avec le Plan France très haut débit.
Entre le colloque de l'Avicca mardi dernier, celui de la Firip jeudi prochain (*), le sénateur Hervé Maurey communiquait ce matin les conclusions du rapport, rédigé avec son collègue Patrick Chaize, Président de l'Avicca sur la couverture numérique des territoires. Les collectivités locales se montrent inquiètes pour le déploiement du très haut débit, fixe et mobile, et le font savoir dans des termes de plus en plus accusateurs, contre l'Etat et les deux grands opérateurs.
L'acte d'accusation dressé par Hervé Maurey porte d'abord sur la date. Le président de la République a fixé à 2022 la réalisation du très haut débit pour tous, dont 80% en FttH. Une étape intermédiaire est fixée à 2017, avec 50% du programme réalisé. Il le sera selon le rapport sénatorial, tout simplement parce qu'il concerne les zones denses, la partie, 2017-2022, ne le sera pas (« on n'y croit plus »). C'est dit et écrit par le groupe de travail réuni par Hervé Maurey (au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de la Haute Assemblée).
Egalement pointée du doigt, la définition même du très haut débit. « Avant on nous parlait de 100 méga, maintenant c'est 30 » note Hervé Maurey, « c'est toujours du très haut débit, mais en abaissant le seuil, l'objectif est plus facile à atteindre ». Sous la bannière FttH se glisse, non plus la seule fibre optique mais les technologies alternatives, celles qui réalisent la montée en débit, ce n'est plus la même chose.
La charge principale est portée contre l'Etat
En fait, ces arguments ne sont qu'un prélude. La charge principale est portée contre l'Etat et son financement du très haut débit. L'Avicca a relevé que 76 projets sont déposés au FSN, le Fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts. Ils représentent 10,6 milliards d'euros en projets d'investissements, mais 18 millions seulement ont été accordés. L'Etat se félicite du nombre de dossiers déposés mais se montre d'une lenteur effrayante pour accorder les fonds correspondants. « Et un dossier met au moins trois ans à être enregistré » note Hervé Maurey.
Les opérateurs ne sont pas en reste. « Ils font ce qu'ils veulent, lance Hervé Maurey, et ne sont même pas tenus de respecter leurs engagements ». Avec la fusion (voir notre enquête précédente) SFR ne déploie pas toujours de FttH dans les secteurs où il est censé le faire. Il invoque parfois la présence des réseaux câblés de Numéricâble, maintenant dans la même entreprise. « C'est un sujet majeur et un scandale d'Etat, la Cour des comptes travaille ce dossier ».
Les collectivités locales, dans un tel contexte se retrouvent « prises en otage ». Le financement du FSN est long à venir et les dotations de l'Etat fondent. Certains départements sont en état de cessation de paiement.
« Je n'ai aucune confiance dans les opérateurs »
Le sénateur avance avec ses collègues des propositions. D'abord fédérer les RIP (réseaux d'initiative publique) sur un plan régional, de manière à ce que les opérateurs ne puissent écarter un département jugé peu rentable. Toute proposition d'amendement parlementaire en ce sens est toutefois rejetée par l'influence desdits opérateurs. Hervé Maurey veut également que ces acteurs s'engagent sur la partie déploiement. Quand on fait remarquer au sénateur qu'ils l'ont fait dans le bureau d'Emmanuel Macron, Hervé Maurey jette « je n'ai aucune confiance dans les engagements des opérateurs et dans leur parole ». Il souhaite donc que ces engagements se fassent par écrit. Et donc qu'ils puissent être sanctionnés. Ce qui n'est pas aujourd'hui légalement possible, contrairement au déploiement des réseaux mobiles.
Sur la partie services, donc des offres sur les réseaux RIP des collectivités locales, le sénateur souhaite qu'une certification technique, délivrée par un organisme neutre atteste de la qualité de ces réseaux et attend beaucoup de la décision de l'Arcep sur leur tarification (**). En clair, que le régulateur agisse pour favoriser ces offres. Les possibles abonnés, également contribuables, qui ont contribué à financer le réseau ne comprendraient pas que les grands opérateurs ne daignent venir leur proposer des services à partir de ce réseau.
On sent, et Hervé Maurey le dit clairement, que les collectivités locales font l'essentiel de l'effort, 10 milliards d'euros sur les 20 du plan de l'Etat. Ce dernier se contente de 3 milliards et encore Bruxelles passe pour être sourcilleux sur le plan et sur le rôle de l'Etat français. Les collectivités continuent à financer des réseaux, elles comptent comme leur plan initial le prévoyait sur les recettes de ces réseaux et la poursuite par l'Etat de ses financements. Ce dernier baisse ses dotations et les grands opérateurs traînent des pieds pour venir sur leurs réseaux, leur business plan initial est-il menacé .
Plus de zones blanches que prévu
La téléphonie mobile n'offrira pas de lot de consolation. 70% du territoire sera exclu de la 4G selon le groupe de travail du Sénat. Même avec la loi Macron. 2 200 communes n'ont pas la 3G, ni même la 2G ! 171 sites selon le gouvernement. L'Avicca et d'autres associations de collectivités locales ont demandé et viennent d'obtenir de Bercy que cette liste soit revue. Le Premier ministre en personne avait annoncé au mois de mars que ces zones blanches devraient disparaître d'ici fin 2016.
Hervé Maurey cite de nombreux exemples où les services de l'Etat ne savent pas répertorier les zones blanches, fixes ou mobiles et le font sans concertation. Les opérateurs savent aussi imposer leur infrastructure, leurs antennes aux villages qui étaient prêts à financer les leurs pour enfin avoir la 2 ou la 3G. Un guichet sur « 800 sites » sera animé par l'Agence du numérique pour les zones blanches mobiles.
Les collectivités locales gardent sur l'estomac le deuxième dividende numérique (bande des 700 MHz) qui vient d'être attribué. « Elles ne peuvent que regretter que les licences n'aient pas, comme initialement prévu, permis une accélération des obligations de couverture en 4G, écrit l'Avicca. Et non seulement elles ne touchent rien du dividende numérique, mais certaines qui ont financé des émetteurs TNT vont avoir des frais liés à la libération de la bande 700 MHz, que pour le moment l'État refuse de couvrir. »
(*) L'Avicca est une association de collectivités locales spécialisée sur le numérique regroupant 38 villes, 92 intercommunalités et syndicats de communes, 91 structures départementales et 26 régionales, la Firip, côté industriels réunit 150 entreprises déployant les réseaux d'initiative publique.
(**) L'Avicca et la Firip ont publié un texte commun, avec le raisonnement suivant : « Avec des tarifs d'accès au réseau allant jusqu'à 26 € HT/mois (31,20 € TTC) pour les fournisseurs de services, suivant les premières hypothèses de l'ARCEP, auxquels s'ajoutent leurs propres coûts (box, contenus audiovisuels, commercialisation...), il est impossible de bâtir des offres de détail attractives.
La fixation administrative de prix élevés, largement supérieurs à ceux des réseaux aujourd'hui en exploitation, aurait plusieurs conséquences très négatives :
augmenter les prix des abonnements, par répercussion de l'augmentation des tarifs de gros. Les habitants et professionnels des zones rurales devraient payer plus cher leurs services qu'en zone urbaine ;
diminuer l'attractivité des offres, donc la dynamique commerciale et la rentabilité des investissements ;
freiner l'innovation avec l'émergence de nouveaux acteurs, que ce soit dans le domaine des services de contenus ou dans celui des objets connectés et des applications des territoires intelligents.
Force est de constater, qu'aujourd'hui, les quatre grands opérateurs privilégient encore largement les zones urbaines les plus denses et les investissements sur leurs propres réseaux. Demain, sans modification des propositions soumises à consultation, ils seraient en mesure d'exercer une pression structurelle forte sur toute l'économie des réseaux publics. »
En illustration : Les collectivités locales engagés dans les RIP (à droite) se retrouvent dans une position délicate, une partie de celle concernés par les réseaux conventionnés déplorent des engagements non tenus.