Le pédophile, meilleur ami du filtrage IP
S'il est une belle invention des parangons du flicage IP, c'est bien la protection de l'enfance. Et tout çà ne se limite pas à une légitime lutte contre la pédophilie. Cela va bien plus loin : la crainte irraisonnée que pourrait provoquer un texte ou une image osée justifie jusqu'à l'inqualifiable. A tel point que l'on en arrive à « récompenser les censeurs » sous prétexte de moralité et de défense de la veuve et de l'orphelin. Ainsi l'Utah, qui se félicite de proposer une loi qui labelliserait les fournisseurs d'accès par un sceau « rated PG 13 » (visualisation tous publics). Une sorte d'équivalent du « comité de censure catholique », mais en considérablement plus coercitif : notre comité catholique se contente d'émettre un avis sur les contenus télévisuels, considérant qu'une administration ou association ne peut se substituer au contrôle éducatif des parents. L'état Mormon, quand à lui, souhaite récompenser un filtrage de l'information et taxer les manquements. Au pays du koala, de l'eucalyptus sauvage, de la bière blonde et des cow-boys baptisés Bruce, l'on va encore plus loin, puisque la défense des chastes esprits est devenue une réalité fédérale qui entame sa phase de test. Bientôt, tout serveur Web pouvant choquer des enfants sera mis à l'index et intercepté ipso facto. Pour être exempté de cette censure, chaque internaute adulte doit nominativement demander une dérogation... et donc potentiellement être soupçonné d'être en proie à des désirs aussi pervers qu'inavouables. Le blocage des sites que l'on feuillette d'une seule main n'est techniquement que le premier pas vers la mise en place d'un instrument dictatorial qui pourra, selon l'évolution des moeurs, supprimer d'Internet les ouvrages un peu trop à gauche, un peu trop à droite, qui parlent un peu trop d'explosifs, un peu trop d'électronique, un peu trop d'oiseaux migrateurs de la région de Melbourne ou un peu trop de Charles Dikkens (avec deux K). A ce rythme là, dans moins de 5 ans, certains mots disparaîtront de l'édition Australienne de Wikipedia : Boccace, Sapho, Zigounette et Bonnet C. Mais qu'en est-il au juste de ce si redoutable cyberprédateur sexuel ? Et c'est encore une équipe d'universitaires, du New Hampshire cette fois (un état peu recommandable, on y parle le français...) qui se penche sur le sujet. Et l'on s'aperçoit que le technopédophile qui se cache derrière une fausse identité de mineur, qui glane çà et là des données personnelles pour enfin assouvir son crime, est essentiellement un stéréotype. Certes, il y a eu des cas d'école. Mais les mécanismes sont plus complexes que çà, insistent les chercheurs au fil d'un rapport extrêmement dense de 18 pages. Le violeur « par ascendant » s'affiche généralement ouvertement comme adulte, et rencontre plusieurs fois sa victime, ce qui implique une connaissance réelle des protagonistes. Dans la plupart des cas analysés, l'on se retrouve dans des situations semblables à celles constatées dans la « vraie vie ». Internet n'est pas plus -peut-être moins- un vecteur d'abus sexuel que n'importe quel autre moyen de rencontre ou de dialogue. L'éducation, l'attention, le travail de prévention des parents demeure la plus efficace des contre-mesures. Les hasards du calendrier font qu'un contributeur régulier de Slashdot se penche également sur ce problème, et en tire plus ou moins les mêmes conclusions. Selon Bennett Haselton, il s'est répété des années durant que « chaque année, un enfant sur cinq se voit adresser des « propos de nature explicitement sexuelle »... sorte de gimmick issu de statistiques discutables reposant sur une définition du « propos explicitement sexuel » relativement floue, englobant des échanges émis tant par des adultes que par d'autres enfants ou adolescents entre eux. Depuis, les statistiques du National Center for Missing and Exploited Children, à l'origine de ces chiffres, sont passées de 1 sur 5 à 1 sur 7. La précédente étude de l'université du New Hampshire précise que parfois, sont considérées comme « propos de nature sexuelle » des remarques du genre « c'est combien, ta taille de soutien-gorge ? » Du coup, à partir de ces « propos », certains n'hésitent pas à forcer le trait, à interpréter, à broder... mais en perdant le fil. Ainsi un journaliste, un sénateur, l'un titrant sur le fait qu'un enfant sur 5 était approché par des pédophiles, l'autre que ces enfants étaient contactés par des prédateurs sexuels. Ces raccourcis, ces dérives de mots sont ensuite reprises comme éléments à charge dans d'autres articles, l'importance de l'émetteur servant de preuve d'authenticité. L'on croirait entendre le grand air de la Calomnie. Mais il est probablement trop tard... en vertu de l'adage « il n'y a pas de fumée sans feu », le doute est semé, les contre-mesures peuvent être acceptées par une majorité bien pensante, par des parents inquiets, par des lecteurs traumatisés à coup de propos infondés ou habilement détournés. Une autre étude psychosociologique mériterait d'accompagner ce genre de communication : de l'influence des communiqués de presse sur les psychoses anti-Internet, leur rapport avec les « affaires » des propagateurs de messages. Que ces propagateurs soient les différents éditeurs de logiciels de filtrage ou les multiples Ministères de l'Intérieur du monde, France et Navarre y comprises. Le fond de commerce de la peur et de l'incertitude fait vendre du filtrage, parfois simplement « parental », de plus en plus souvent étatique. Ces mesures de protection, qui nous sont arrivées à pied par la Chine, la Birmanie, la Corée du Nord, la Biélorussie, l'Arabie Saoudite etc, commencent à utiliser des moyens de transport de plus en plus efficace.