Le FTTH en France, c'est le règne du chacun pour soi. Jusqu'à quand ?
Les déploiements en fibre optique jusque chez l'abonné (FTTH) en France se caractérisent jusqu'ici par le triomphe du chacun pour soi. Et l'autorité de régulation, l'Arcep, ne peut intervenir qu'à la marge.
La fièvre monte dans l'hexagone en ce qui concerne le raccordement en très haut débit des particuliers. La récente passe d'armes entre l'association UFC Que choisir et France Télécom est le signe d'une tension certaine. Reste que les voies empruntées par les différents opérateurs télécoms semblent mener tout droit à la confusion. Côté approche technique, le régulateur européen à Bruxelles recommande de déployer la fibre optique jusqu'au trottoir (FTTC, Fiber-To-The-curb) puis de la prolonger en VDSL sur les paires téléphoniques existantes dans les bâtiments et l'appartement de l'abonné. D'énormes commutateurs Ethernet Mais en France, ce type de conseils n'est guère suivi. L'opérateur trublion Free estime en effet que cette architecture n'apporte pas vraiment plus de débit. Car, outre le triple play et la vidéo à la demande, Free compte favoriser la télévision personnelle (chacun réalise ses propres programmes et les diffuse), qui exige 50 Mbit/s de débit dans les deux sens. Au passage, l'opérateur veut aussi s'affranchir de toute redevance à France Télécom, à qui il verse aujourd'hui le tiers de son chiffre d'affaires. A la mi-septembre 2006, Free avait donc révélé à grand bruit son choix en faveur du FTTH (Fibre to the home) en point à point. Cela amène donc à déployer une fibre dédiée à chaque abonné, depuis le NRO (Noeud de raccordement opérateur) jusqu'au boîtier mural domestique, et cela au tarif du DSL dégroupé à 29,95 € ttc/mois. A Paris, Free ramène ainsi la fibre de chaque abonné sur d'énormes commutateurs Ethernet, d'origine Cisco en l'occurrence. Chez Orange, pas de dégroupage au niveau du NRO Free promettait dans la foulée de consacrer 1 milliard d'euros sur cinq ans au déploiement du FTTH sur une dizaine d'agglomérations. Tous ses concurrents ont cru devoir le suivre, du moins en apparence. Orange fera donc lui aussi du FTTH, mais selon une architecture partagée Gpon (Gigabit passive optical network), parce qu'elle est, dit-il, moins onéreuse et moins encombrante pour ses fourreaux et ses locaux techniques déjà bien occupés. Mais accessoirement celle-ci empêche tout dégroupage au NRO, au contraire de ce qui est possible actuellement avec les paires de cuivre. C'est ce qu'affirme Numéricable, par exemple : « Le dégroupage d'une boucle locale en fibre optique déployée à partir d'une technologie PON n'est pas possible ». De même, BT France ... Photo : installation de la fibre optique dans les colonnes montantes des immeubles(source Orange - Thomas Geffrier) ... estime que « Le PON empêche le dégroupage à la façon du cuivre. France Telecom devrait dégrouper les fibres, mais l'Arcep ne lui demande que de permettre un accès à ses fourreaux ». Neuf Cegetel enfonce le même clou : « Orange a fait le choix d'une technologie non dégroupable au NRO, associée au choix d'un point de mutualisation situé très en aval dans le réseau, en pied d'immeuble. C'est une redoutable protection de sa boucle locale optique contre toute tentative de régulation future. Le choix de la technologie PON par l'opérateur historique rendra vaine toute tentative de régulation « ex-post » d'une offre de fibre passive ». Ce à quoi il faut ajouter ce que déclarait Maxime Lombardini, directeur général de Free, au Figaro : « Les solutions techniques d'Orange et son refus de collaborer avec les autres opérateurs font courir un grave risque de retour au monopole ». Encore d'autres choix techniques chez Numericâble Neuf Cegetel, lui, adoptait un positionnement médian. Il a racheté coup sur coup le FAI palois Médiafibre (qui utilise une technologie en point à point) et l'opérateur parisien Erenis, qui exploite un raccordement en FTTC prolongé en VDSL dans les appartements. Selon les contraintes locales, Neuf Cegetel sera donc en point à point ou en Gpon, se voulant avant tout un distributeur de services. Ses boucles optiques seront conçues, construites et maintenues par Alcatel-Lucent. Numéricâble, qui a fusionné tous les câblo-opérateurs hexagonaux, a encore fait un choix différent. Il fera du FTTB ou du FTTLA (Fiber To The Last Amplifier), où seul le dernier segment restera en câble coaxial, son média privilégié depuis ses origines. Ceci dit, tous les opérateurs se sont dépêchés de démarrer les déploiements, en se partageant tacitement les zones urbaines denses les plus prometteuses. La course contre la montre Ils déploient au plus vite, en profitant des droits de passage que leur fournissent les égouts visitables et dont les adductions jusqu'en pied d'immeuble sont aisées. Et depuis ces pieds d'immeuble, ils se hâtent également de construire les colonnes montantes. Surtout Orange, qui est mieux accueilli dans les copropriétés. Dès octobre 2007, l'UFC-Que choisir dénonçait cependant cette course à la fibre, en-dehors de toute obligation de partage ou de mutualisation. « Le FAI se met en situation de monopole dans l'immeuble qu'il a câblé. Il peut pratiquer les prix qu'il veut. Pour changer d'opérateur, il faudra déménager, tempête l'organisation de défense des consommateurs. Aussi, l'UFC-Que Choisir conseille-t-elle aux copropriétés d'attendre la clarification ...... que devrait apporter le projet de la loi de modernisation de l'économie. Le 24 avril dernier, elle revenait à la charge et dénonçait l'impossibilité des opérateurs à s'accorder sur le partage de la partie terminale de la fibre. Obtenir une offre d'accès aux fourreaux d'Orange Orange y répliqua en protestant de sa bonne volonté, de sa conformité aux « orientations de l'Arcep » et de ses accords avec la Fnaim Île-de-France et l'une des trois associations de copropriétaires reconnues par le gouvernement. Mais l'UFC-Que choisir maintenait sa consigne d'attentisme et réclamait en outre la mutualisation au NRO. L'Arcep, hélas, ne peut s'opposer au choix Gpon d'Orange. « Nous ne pouvons agir que sur les goulets d'étranglement , admettait Gabrielle Gauthey, membre du collège de l'autorité de régulation, à l'occasion d'une récente table ronde organisée par l'ebg (Electronic Busines Group). En l'état, elle veille donc à obtenir d'Orange une offre d'accès à ses fourreaux et à inscrire dans la loi de modernisation de l'économie des règles de réciprocité d'accès aux colonnes montantes comme aux points de raccordement en pied d'immeubles. La pression sur France Telecom Sera-ce suffisant ? Lors de la consultation de l'Arcep, à présent disponible en ligne sur son site, l'Aforst et Free ont également demandé à pouvoir louer à Orange de la fibre noire depuis les NRO jusqu'aux pieds des immeubles. Et que l'opérateur historique pose par conséquent des fibres surnuméraires. Ce qu'il refuse pour l'instant carrément. Neuf Cegetel, Free et BT France ont en outre souhaité d'Orange une offre d'accès au débit (bitstream), permettant aux opérateurs alternatifs d'être présents commercialement sur les boucles locales optiques qu'il a déployées. Colt et Completel, en revanche, ont mis en garde contre une régulation excessive des fourreaux de l'opérateur historique. Remplacer les armoires de rue D'autres solutions de mutualisation s'imposeront sans doute. En particulier, celles que le Credo (Cercle de réflexion et d'étude pour le développement de l'optique) propose pour les réseaux des collectivités territoriales, réseaux que les opérateurs FTTH devront nécessairement emprunter, lorsqu'ils auront fini d'équiper les centres urbains denses. Ces propositions permettraient de faire cohabiter des architectures point-à-point, PON et AON (Active optical network) dans un même réseau d'accès. A condition de remplacer les armoires de rue conventionnelles par des « derniers noeuds de flexibilité ». Préfacées par Gabrielle Gauthey, ces propositions sont déjà acceptées par Axione et le délégataire du réseau THD92.
Des déploiements à marches forcées dans les zones à forte densité de population
A fin 2007, Free affirmait disposer à Paris de 30 000 fibres activées pour 500 000 foyers raccordables. Neuf Cegetel a engrangé les 50 000 logements raccordables d'Erenis. De plus, la DSP obtenue auprès du Sipperec (qui regroupe 13 communes de la région parisienne) concernera 20 000 logements dans les 24 premiers mois. L'opérateur participe au groupement retenu par le conseil général des hauts de seine. Son accord avec l'Opac concerne 100 000 foyers à Paris (réalisation prévue en 2008 et 2009). Un partenariat avec Numéricâble lui ouvre 140 000 foyers. Ses projets sont en cours à Toulouse, Rennes, Bordeaux, Strasbourg et le Grand Nancy. Il annonce 130 000 foyers raccordés à la fin de 2007, pour 20 000 abonnés. L'opérateur s'est donné un objectif de 250 000 prises activées à la fin de 2009 pour un million de prises raccordables. Numéricable vise pour sa part un parc de 4 millions de logements raccordés à la fin de 2008, puis de 7,5 millions à la fin de 2009. Il louera ses fibres en excédent, et non pas seulement ses fourreaux. Face à ses concurrents, Orange tente de se faire passer pour un nouvel entrant comme les autres. A fin 2007, il revendiquait 146 000 logements raccordables et 7 268 clients et prévoit 150 000 clients raccordés à fin 2008 pour un million de foyers raccordables.