La Social TV pose la question de la protection des droits individuels
La socialisation était le thème des sixièmes Assises de la Convergence des Médias. Selon les débats, l'usage des médias sociaux permet de relancer la TV traditionnelle mais parfois en remettant en cause des droits individuels des spectateurs.
La discussion entre spectateurs au sujet d'une émission de télévision ne date pas d'hier. « Le canapé ou la machine à café faisaient déjà de la social TV sans que personne ne le mesure » a rappelé en souriant Laurent Frisch, directeur de France Télévision Editions Numériques. Il s'exprimait lors des sixièmes Assises de la Convergence des Médias organisées par l'iDate et Aromates à Paris le 20 décembre 2012. Mais avec l'avènement des médias sociaux tels que Facebook ou twitter, les échanges passent dans une dimension supérieure, ce qui pose des questions de protection des droits individuels.
Le simple partage autour de contenus audiovisuels ne suffit pas à définir ce que l'on attend aujourd'hui de la social TV. Si certaines possibilités visent à enrichir le contenu délivré, d'autres font davantage penser à Big Brother. Les régulateurs comme la CNIL ou le CSA s'en inquiètent donc.
Le partage enrichit
Ainsi, les spectateurs deviennent acteurs des programmes via leurs tweets et leurs autres recommandations. « Nous n'avons pas mesuré d'impact sur l'audience lié au nombre de tweets mais il est probable qu'il y ait un lien avec la fidélité » avance Laurent Frisch. La relation du spectateur avec le média change indubitablement sans impact manifeste sur l'audience.
La seule mesure du nombre de tweets semble de toutes façons insuffisante. Il y a eu 5 millions de live-tweets pour l'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 2012, 13 millions pour le Super-Ball aux Etats-Unis en 2012 mais seulement quelques centaines de milliers pour l'élection de Miss France !
Il est nécessaire d'étudier plus en détail la tonalité positive ou négative des commentaires et l'engagement d'une communauté fidèle. Laurent Frisch indique ainsi : « l'étude de la tonalité des tweets lors de l'Eurovision a permis de prédire avec justesse la vainqueur ».
Or ces mesures et ces études peuvent dériver sérieusement. Ainsi la monétisation de l'audience peut être améliorée par le ciblage publicitaire plus fin permis par les données personnelles associées aux comptes des utilisateurs de médias sociaux.
La CNIL ne veut pas bloquer les nouveaux modèles économiques ...
La CNIL ne veut pas bloquer les nouveaux modèles économiques
« De nouveaux modèles économiques apparaissent. Ils échangent un service gratuit [comme des contenus, NDLR] contre des données personnelles et nous ne voulons pas bloquer l'innovation pourvu que les gens soient respectés » a relevé Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL.
La question est d'autant plus délicate que les personnes se mettent volontairement en avant publiquement. Il y a un réel désir de s'exposer pouvant aller jusqu'à une démarche de marketing personnel. Isabelle Falque-Pierrotin note : « il faut donc une protection mais aussi accepter une vie publique des données personnelles ».
A l'inverse le « bug Facebook » (un changement de présentation faisant remonter de vieilles informations oubliées) a démontré la préoccupation voire les angoisses des internautes face à la question des données personnelles.
La CNIL constate donc l'émergence de questions nouvelles posées par les réseaux sociaux sans avoir toujours toutes les réponses. Pour l'heure sa démarche consiste donc à exiger des garanties vis-à-vis des réseaux sociaux, à éduquer et sensibiliser les internautes mais aussi à responsabiliser les acteurs économiques en les contrôlant régulièrement.
Beaucoup de questions et peu de réponses
La sénateur centriste de Seine Maritime Catherine Morin-Desailly estime, quant à elle, que les médias sociaux constituent « une chose trop récente pour qu'on en mesure toutes les conséquences sociétales ». Si cette évolution est à prendre en compte, le Législateur n'a pas à intervenir à toute force.
« Continuons d'appliquer le droit existant, sur la diffamation par exemple: la jurisprudence montre que ça marche ; Le Législateur interviendra si un problème survient » observe la sénateur. Pour elle, les régulateurs existants, le CSA, l'ARCEP et la CNIL, peuvent adapter suffisamment les lois existantes et veiller à leur application.
15% du trafic internet lié aux réseaux sociaux ...
15% du trafic internet lié aux réseaux sociaux
Le rôle de l'ARCEP est de veiller à la qualité technique des liaisons et de l'acheminement des données. Sa préoccupation est donc plus focalisée en ce moment sur la neutralité d'Internet, d'autant que selon Françoise Benhamou, du collège de l'ARCEP, « une étude faite par Cisco a montré que 15% du trafic Internet est lié aux réseaux sociaux, hors vidéos ».
A l'inverse, le CSA s'intéresse pour sa part au contenu des tuyaux. Cette dernière autorité se préoccupe donc plus de la course au scoop non-vérifié et non-sourcé pour buzzer sur Internet qu'autre chose.
Emmanuel Gabla, président du groupe de travail « les nouveaux services et Internet » au CSA, observe : « il est délicat de réguler les contenus séparément des contenants à cause de questions comme la neutralité du Net », justement.
Cela dit, la sénateur Catherine Morin-Desailly a admis que la réforme de l'audiovisuel en cours aura sans doute un impact important sur la place respective des différents régulateurs, simplement pour tenir compte de la convergence des médias et des changements dans les usages. Mais la plupart des outils sociaux, à commencer par Facebook ou Twitter, étant extra-européens et le plus souvent américains, il peut exister des problèmes de compétence territoriale des tribunaux et d'applicabilité du droit européen.
« Le CSA réfléchit aux conséquences de la télévision connectée, transnationale par nature » note Emmanuel Gabla. Selon Isabelle Falque-Pierrotin, la réforme en cours de la directive européenne de 1995 devrait résoudre le problème par une clause d'attribution de compétence à une juridiction européenne dès qu'un citoyen européen est concerné. Cette révision devrait également formaliser le droit à l'oubli et le droit à la portabilité des données personnelles.