John Chambers : "cela ne pose pas de problèmes à nos clients de payer plus cher"
Lors d'un entretien exclusif avec nos confrères de Computerworld et d'Inforworld, John Chambers le PDG très écouté de Cisco est revenu sur les sujets d'actualités et la nouvelle concurrence avec IBM et HP, sur sa vision du cloud et sur les accusations de technologies propriétaires.
Question : Comment réagissez-vous à ce que disent habituellement vos concurrents à propos de Cisco? Les produits de Cisco sont propriétaires. Ils sont plus coûteux. Et, lorsque vous ne gagnez pas auprès des équipes techniques, vous faites des vagues auprès des patrons de l'entreprise ? John Chambers : Premièrement, parlons des aspects propriétaires. Nous sommes une société qui respecte les normes ouvertes, point final ! Internet est ouvert, pour n'importe quel appareil et n'importe quel contenu. Par exemple, lorsque nous nous sommes engagés dans le marché de la télé-présence, nous avons gagné des parts de marché énormes dans les équipements de haut de gamme : 64%. Et pourtant, nous en avons fait un standard ouvert. Nous en avons fait un standard industriel disponible pour tous les autres, pas seulement pour Tandberg. Toute notre base repose sur des standards ouverts : l'internet. Avec internet, n'importe quel périphérique peut s'y interfacer. Et c'est ce que nous voulons. Premièrement, cela nous permet d'entrer sur un marché plus rapidement. Deuxièmement, les clients sont protégés. Ils ne sont pas verrouillés dans une solution. La deuxième partie de votre question concerne le fait que nous vendions notre technologie aussi du côté des dirigeants de l'entreprise. Naturellement que nous le faisons ! Si vous voulez que votre société réussisse, cela ne dépendra pas seulement de votre travail sur les technologies. Vous devez susciter la confiance autant du côté du management de l'entreprise, de la direction générale, que du côté des équipes informatiques en même temps. L'informatique ce n'est plus comment se débrouiller pour gérer la complexité de votre centre informatique. C'est désormais comment arriver à se différencier de ses concurrents et permettre la mise en oeuvre de la stratégie de votre société. J'avancerais qu'il s'agit même d'embarquer la technologie au sein du coeur de votre activité qu'il s'agisse de services, de développement de produits ou de ventes. Cela à un point ou il devient difficile de différencier la stratégie de l'entreprise de sa stratégie IT, tant les deux sont imbriquées. Si vous ne développez que l'adhésion des équipes informatiques vous ne pouvez pas les aider à se projeter dans les projets clés de l'entreprise. Question : vous n'avez pas répondu à la question sur le surcoût lié aux produits Cisco. Ce que certains appellent la "taxe Cisco" ? John Chambers : Et bien, c'est un petit peu injuste. Est-ce que nous continuons à bénéficier de la loi de Moore et de toujours plus de puissance ? Le réponse est oui. Aussi longtemps que nous agirons ainsi, cela ne pose pas de problèmes à nos clients de payer plus cher, car ce surcoût aide à développer de nouveaux produits. Vous protégez ainsi leurs investissements. Je crois qu'il va y avoir une rapide consolidation du marché. Une partie de ce qui fera de vous un gagnant dans cette consolidation dépendra de l'innovation, de votre capacité à sentir le marché et à vous adapter, à proposer des produits qui ... ... fonctionnent ensemble, protégeant l'investissement de vos clients, et dépendra d'une architecture ouverte. Est-ce que les clients sont prêts à payer plus cher pour cela ? La réponse est oui. Mais j'argumenterai qu'il ne s'agit pas d'un surcoût, mais du coût total de possession à comparer à votre productivité. Le premier distributeur mondial Wallmart nous place en haut de sa liste de partenaires. Vous pourriez penser que c'est improbable car ils sont durs en affaires. Mais leur PDG et leur DSI vous répondront que nous sommes en haut de la liste. Question : Votre objectif de devenir numéro un dans l'IT vous entraîne sur des marchés très différents. On vous connaît dans les réseaux, mais vous avez également une ambition qui concurrence des acteurs comme HP et IBM. Ce sont des choses très différentes, non ? John Chambers : Nous sommes un des acteurs les plus importants aussi bien sur le plan de l'architecture des réseaux, que dans le domaine des communications. Et sur ces points, nous travaillons simultanément sur la technologie et le commercial. Notre position de leader a été acquise en enregistrant des très bons résultats sur des marchés en phase de croissance. Même les critiques les plus acerbes, peuvent le reconnaître. Nous avons réussi face à une première génération de concurrents de talent comme SynOptics, Wellfleet, 3Com, Cabletron qui ont disparu. Et la même chose pourrait nous arriver si nous ne nous adaptons pas aux évolutions du marché. Pour cela nous entretenons une saine paranaoïa. Nous savons que nous pourrions nous retrouver à la traîne. Nous n'avons pas peur mais notre saine paranoïa nous permet de savoir ce qui pourrait mal se passer. Enfin, quand nous avons commencé sur le marché des fournisseurs de services internet (FAI), plusieurs personnes nous ont indiqué notre absence de compréhension des acteurs. La légitimité était du côté de ... ... nos concurrents, Nortel, Lucent, Alcatel, Siemens, Ericsson. Nous avons donc pensé comment devenir numéro un sur ce marché et maintenant, nous le sommes. Pour ce faire, la direction prise reposait sur l'architecture. Lors du dernier Mobile World Congress à Barcelone, si vous posiez la question quel est votre partenaire le plus efficace en matière d'architecture et pour la distribution des services, nous sommes cités dans la majorité des cas. Une chose impensable il y a encore 5 ou 6 ans. Dans le domaine des datacenters, je n'ai pas voulu entrer en concurrence avec IBM ni HP. J'ai essayé d'établir un partenariat avec les deux. Mais nous avons décidé, il y a 5 ans maintenant, d'aller vers la virtualisation. Les partenariats envisagés entraînaient un grand partage de notre technologie s'ils avaient accepté. Et si ils avaient refusé, cela revêtait une trop grande importance stratégique pour nous, car la question n'était pas d'entrer dans un nouveau marché. Je ne m'intéresse pas aux serveurs, je m'intéresse à la virtualisation, où vous n'avez plus à savoir où se trouvent les processeurs, ni où les informations sont stockées ni où les applications résident. Vous vous en moquez ! Le réseau devient une ... ... commodité. Nous avons donc suivi les attentes du marché en nous concentrant sur cette transition et non sur nos concurrents. Question : quelle est votre position sur le Cloud Computing et pourquoi certaines grandes compagnies n'y vont pas ? John Chambers : Il ne s'agit pas simplement de la question d'y aller. La problématique repose sur la virtualisation et sur le rôle que va jouer le réseau dans tout cela. Nous pensons que le réseau est une pièce centrale et non le datacenter ou le terminal de l'utilisateur final. Il existe plusieurs dispositifs pour recevoir tout type de contenu aussi bien à travers des réseaux sans fils que filaires, à la maison, sur un smartphone Apple, Microsoft ou IBM. Cela importe peu. De plus, le marché ne se fait plus sur la voix, ni sur la donnée, mais sur la vidéo ! Maintenant, vous pouvez dire que nous allons trop loin. Mais souvenez-vous, nous avions expliqué il y a quelque temps que la vision devait être globale, voix, vidéo et données. Cette décision a été prise il y a 15 ans et nous avons commencé à construire nos architectures dans cette optique. Est-ce que je vais trop loin ? Peut-être. Mais nous avons fait cela déjà plusieurs fois. Nous réalisons cela grâce à l'innovation. Nous savons comment acheter des entreprises. Jusqu'à quel point les grandes sociétés savent-elles gérer des acquisitions ? Combien de fois l'ont-elles fait, en gardant les leaders, les meilleurs ingénieurs et sorti la génération suivante de produits et gagné des parts de marché ? La réponse est : pas très souvent. Nous l'avons fait 137 fois ! Tout est question d'innovation et de transformation du marché. Et j'ai appris cela à la dur chez IBM et chez Wang. Je ne suis pas amoureux de la technologie. Tout ce que nous faisons est inspiré par les clients. Question : Comment voyez-vous le déploiement des offres de clouds publics et privés au sein des entreprises ? Peut-on les fédérer ? John Chambers : La perspective sur les clouds privés et publics au sein de l'entreprise doit aboutir in fine à un système de confédération, complétement transparent pour les utilisateurs finaux et les responsables informatiques. Le réseau est au coeur de tout cela. C'est notre démarche quand nous développons des partenariats avec VMware ou EMC et encore plus récemment avec NetApp, en réfléchissant sur des standards ouverts sur ce type de sujet. Nos meilleurs partenaires dans le Cloud seront les fournisseurs de services, car ils devront faire vivre leurs "tuyaux" et éviter que leur réseau ne soit qu'une commodité. La valeur reviendrait alors aux sociétés périphériques ou aux créateurs de contenus. Il me semble que nous avons une opportunité commune. Quel sera le plus grand marché au sein des différents types de Clouds ? John Chambers : Dans un premier temps le marché le plus important sera représenté par le Cloud public. Sur le long terme, ce sera le privé et la combinaison de ce que l'on appelle la fédération des Clouds. Nonobstant, nous développons nos propres Clouds et nous nous interfacerons avec d'autres.