Internautes bretons et marins-phishers
La nouvelle est tombée tel un coup de foudre : AFP, mercredi 12 avril 2006, 9h30, « Une association bretonne milite pour obtenir l'extension internet .bzh ». Une niouze rapportée par notamment par Yahoo, et qui précise que l'affaire serait notablement supportée par des élus UMP. Ce n'est pas du « communautarisme » mais l'affirmation d'une « identité régionale ».
Arguant du fait que des associations catalanes avaient obtenu le tld .cat et nos Départements d'Outre Mer des.gp, .gf, .mq et.re, voici que certains bretons bretonnants veulent surfer sur des déferlantes estampillées « Côtes d'Armor ». A n'en pas douter, si la cyber-pointe du Raz parvient un jour à pavoiser avec un nom de domaine fleurdelisé en noir et blanc, cela donnera des idées à bien d'autres. Les serveurs de l'île de Beauté revendiqueront le .cor (pourtant déjà réclamé par l'association Jaimelesondu), les habitants de la « hiaute » Savoy réclameront leur « .sav »... qui immédiatement sera renégocié auprès des entreprises de Service Après Vente, pendant que les « pays » de Monsieur Raffarin imagineront des noms de domaine s'accommodant d'un .char ( ndlc, note de la correctrice : les conserveries arêtes-thon, par exemple ?).
Comme le précisent nos confrères de l'AFP, le montage du projet va coûter près de 80 000 Euros « notamment financés par les élus bretons » -en vernaculaire françois, cela signifie « le contribuable »-. Mais avec quelques espoirs de retour sur investissement. Car même si la splendeur passée de la bulle internet ne peut plus faire espérer des success stories du calibre de Niue (.Nu) ou des Tuvalu (.TV), l'opportunisme du petit commerce trouvera certainement là de quoi emplir quelques poches.
Et puis, quelle aubaine pour une autre race d'internautes, les marins-pêcheurs tendance « hameçonnage », qui vont immédiatement tester la crédulité qui des descendants d'Astérix, qui des montagnards, qui des insulaires canal touristique, qui des arpenteurs des marais poitevins, en leur faisant miroiter un accès « en ligne » sur les comptes de l'agence locale de la Banque Populaire Savoisienne -si, si, çà existe !- via www.jybrasse.sav, ou de la branche Berrichonne du Crédit Agricole ( www.CA.bry). L'idée géniale des élus UMP et des héritiers spirituels d'Alan Stivell pourrait bien tourner au cauchemar. On imagine l'effervescence du côté de l'équipe de développement de la toolbar Netcraft : « dis-donc, John, t'aurais pas un fichier Gif du drapeau Alsacien » et « çà ressemble à quoi, le blason de Bures-sur-Yvette ? ». Car au rythme où vont les choses, les grandes villes ne tarderont pas non plus à le demander, leur TLD. Puis, après les grandes villes, le moindre des Clochemerle voudra marquer de son empreinte le « Global Village ». La planète virtuelle sans frontière commence à s'encombrer de limites régionales, de lignes de démarcation départementales, de frontières vicinales et de lieux-dits bornés et arpentés.
Lors de la structuration des premiers Top Level Domains, les responsables des commissions de nommage d'alors ont immédiatement écarté toute possibilité d'extensions par trop particulières. Furent notamment refusés à cette occasion un .ibm et un.sun. Et pourtant, en termes de population, ces grandes entreprises doivent probablement aligner bien plus d'employés, clients, partenaires et sous-traitants que certaines régions ne comptent d'habitants. En se montrant libérale sans la moindre retenue, l'Icann revient sur les décisions d'antan, ouvre la porte à une multitude d'abus, et rend de plus en plus confuse la géographie du monde Internet. Or, c'est dans la confusion que croissent généralement le social engineering et la cyber-escroquerie. Ajoutons que, par certains aspects, ce.bzh, section à péage régionale des autoroutes de l'information, ressemble à s'y méprendre à ces chemins de fer locaux qui, au début du vingtième siècle, étaient surnommés des « voies électorales ». Aujourd'hui, les politiques promettent un Internet Patoisant*. Ca coûte moins cher qu'une gare. Et de toute façon, la Nouvelle SNCF se montrerait moins facile à convaincre que les gourous des réseaux IP.
* ndlc : Le celte n'est pas un patois mais une langue, ignare !