Infogérance sélective : des DSI témoignent
Des DSI soulignent l'intérêt de l'infogérance sélective vis-à-vis de l'infogérance globale. Mais comment s'y prendre ? Les DSI d'Essilor, Areva, La Poste, Completel et Bouygues Telecom témoignent.
Une table ronde organisée mardi 18 mars dernier par l'EBG (Electronic Business Group) a été l'occasion de faire le point sur l'infogérance sélective telle qu'elle est perçue par plusieurs DSI comparée à l'infogérance globale. Leur verdict ? L'infogérance globale fait perdre en compétences et ne permet pas d'économies. « L'infogérance globale ? C'est mettre l'informatique au même niveau que le gardiennage ou le nettoyage. C'est suicidaire. On perd alors des compétences. C'est un marché de dupes, car les infogérants ne savent pas tout faire, prévient Didier Lambert, DSI d'Essilor et président en exercice du Cigref (Club Informatique des Grandes entreprises Françaises). Externaliser là où il y aura 20 réponses Essilor, n° 1 mondial de l'optique ophtalmique, ne l'a donc jamais envisagée. De même, la question ne s'est jamais posée chez le leader du nucléaire, Areva. « Le méga-deal n'apporte aucune économie, insiste Pascal Vendryes, DSI d'Areva, et par ailleurs président de la commission Global Sourcing de l'EOA (European outsourcing association). Tous deux, en revanche, sont des partisans de l'infogérance sélective. Pour autant, cette infogérance ne s'improvise pas. « J'externalise quand je sais tenir la main, là où j'aurai vingt réponses, quand l'application n'est pas stratégique et pour avoir plus d'agilité, détaille Didier Lambert. Il faut donc maîtriser le domaine que l'on externalise. Pour ce DSI, le critère du gain économique ne vient qu'en dernier, car c'est souvent un miroir aux alouettes : derrière les coûts affichés, il y a toujours des coûts cachés. Sinon, quand une DSI fait bien son travail, elle est aux coûts du marché. Tout externaliser sauf la relation client Mais lors du processus d'externalisation, c'est la DSI qui doit prendre l'initiative, en impliquant les directions financière, juridique et des achats. En pratique, Essilor délègue une application tous les 18 mois. Il a commencé par les Mainframes pour descendre ensuite, via la gestion des PC et la hotline, jusqu'à la TMA (Tierce Maintenance Applicative) de son ERP Oracle Application. Toutes les applications sont finalement externalisables, sauf l'application stratégique, qui donne l'avantage compétitif à l'entreprise, celle par exemple qui est en relation avec le client final et qui permet à celui-ci de déterminer la solution d'optique dont il a besoin. Areva effectue le même distinguo. Pascal Vendryes, le DSI, se déclare ainsi disposé à tout externaliser, sauf la gouvernance et la relation-client. Photo : Didier Lambert, DSI d'Essilor, président du Cigref, présent lors de la table ronde de l'ebg. Placer la DSI aux commandes Par ailleurs, « Que les externalisations ne se fassent plus dans le dos du directeur informatique est un signe de maturité, ajoute Pascal Vendryes. «Il faut relativiser le poids de la direction des achats dans le choix des fournisseurs. Nous décidons donc nous-mêmes de notre stratégie de sourcing, précise quant à lui Jérôme de Prémesnil, en charge du plan stratégique du système d'information à la DSI de la branche Courrier de La Poste. La branche Courrier a ainsi confié à « un partenaire-clé » le support de certaines applications critiques en-dehors des heures ouvrées. Elle a également externalisé cinq centres de services, dont les opérateurs seront jugés sur leurs résultats. Quant à Completel, il avait externalisé les développements Java de la DartyBox afin d'accélérer une mise sur le marché, mais via une équipe mixte (interne-externe) ce qui lui permet de ré-internaliser le savoir-faire. De nouvelles compétences pour gérer des contrats « Quand je veux externaliser, je n'embauche plus. Je me mets en régie, que je remplace ensuite par de l'outsourcing, explique Didier Lambert. Et dans tous les cas, la TMA n'est envisagée que pour les applications stabilisées. Il faut prendre son temps pour les transferts de compétences, les fonder sur un contrat d'assurance qualité. Pour Brian Nolan, DSI de Completel, une phase préalable de documentation s'impose : « Elle peut être longue et formaliste, mais jamais inutile, même si l'externalisation ne se fait pas ». Puis il y a les pièges du passage au « faire-faire », de la nécessaire recomposition des compétences internes qui s'en suit. Pour les maîtriser, la DSI de La Poste Courrier se base sur le référentiel américain eSCM. Le management des contrats d'outsourcing réclame d'autres qualités que celles dont ont dû faire preuve jusque là les équipes internes. « Il faut même des managers plus compétents, estime Didier Lambert. « Il faut savoir gérer des contrats, des indicateurs de performance, piloter une complexité qui n'est plus dans vos murs », complète Pascal Vendryes d'Areva. Le recours à l'offshore encore plus progressif Les transferts offshore exigent sans doute encore plus de vigilance. C'est pourquoi Essilor a confié la TMA de son ERP Oracle Application en deux temps : à Oracle France, donc en langue française d'abord, puis à Oracle Bangkok, en langue anglaise. Malgré une première tentative inaboutie, l'opticien remet ainsi en chantier le transfert en Inde de l'exploitation logique de son centre de calcul (7 000 processus par nuit). D'autres, en revanche, s'effraient d'externalisations aussi lointaines. A ce jour, Areva n'a donc toujours pas transféré d'infrastructures « au sud ». La société, en revanche, sait tirer parti à l'occasion du mode SaaS, et utilise les outils Salesforces ou Taleo (gestion uniforme des recrutements et de la mobilité interne). Conserver la confiance Les plates-formes applicatives sont déléguées pour des durées de trois ans généralement. Sur la base de contrats aussi exhaustifs que possible, tant sur le plan des indicateurs de performance que des niveaux de service (SLA). Le mieux peut cependant être l'ennemi du bien. Trop de juridisme, trop d'indicateurs et des pénalités trop élevées entament rapidement la confiance qui doit exister entre les deux parties. « Nous n'avons donc jamais plus de cinq indicateurs, et nous les faisons tourner, sinon ça ronronne, avertit Pascal Vendryes d'Areva. Avec une étape d'avance, Della Miret, de la direction centrale du système d'information de Bouygues Télécom, en est par pour sa part déjà à préparer « une réinternalisation sélective ».
Le succès de l'infogérance sélective
La société d'études Markess International confirme le succès de l'infogérance sélective. Sur les 175 organisations de son panel, 37 % ont aujourd'hui délégué l'exploitation de leurs plates-formes applicatives (messageries, ERP, environnements bureautiques et collaboratifs, finances, CRM, GRH...) à des prestataires spécialisés, contre 5 % seulement dans le cadre d'un contrat d'infogérance globale. Les motifs de ce découpage restent classiques. « L'externalisation sélective, détaille Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée de Markess, est décidée pour suppléer un manque de compétences internes sur certaines plates-formes (Java, J2EE, .Net...), pour aller plus vite dans la mise en production, stabiliser la qualité de service, mieux respecter certaines règles ou législations, pour industrialiser des processus, réduire le risque opérationnel ou pour obtenir un fonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ».