Fibre optique : le gouvernement reprend le dossier en main
Discrètement au Parlement, ou en recevant les patrons des quatre grands opérateurs, Emmanuel Macron veut redonner une impulsion au Plan très haut débit. Il est temps, lancé au mois de février 2013, ce Plan donnait l'impression de s'enliser, industriels et collectivités locales restent néanmoins vigilants devant cette mobilisation au plus haut niveau.
Ce vendredi 24 avril, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, reçoit les quatre grands opérateurs. Il veut les mettre en face de leurs responsabilités en matière de développement de la fibre optique. En particulier dans les zones peu denses, où les opérateurs privés ne vont pas naturellement, faute de clientèle suffisante et en raison des trop lourds investissements à mener. Le gouvernement, mais ce n'est pas nouveau, craint un investissement uniquement dans les métropoles. Les collectivités locales des zones peu denses en habitat, déjà lésées financièrement, se retrouveraient seules à mener les investissements sans être certaines d'avoir des opérateurs prêts à venir proposer leurs services.
Sur le même sujetOrange pousse la fibre dans les métropoles et défie Numericable-SFRLe ministre veut donc remettre ce dossier sur la table et celui parallèle de la couverture du territoire en téléphonie mobile. C'est le but de la réunion d'aujourd'hui avec un double dossier zones blanches, fixes et mobiles. Dans les deux cas, le président de la République et le 1er Ministre ont réaffirmé leur attachement à ces développements, en particulier lors des dernières échéances électorales, où les territoires à dominante rurale se plaignaient d'être délaissés. Les pouvoirs publics veulent peser de tout leur poids sur les grands opérateurs.
En frontal contre Numericable-SFR
Pour Orange, son Pdg Stéphane Richard propose une logique de « guichet unique » où un seul opérateur agirait dans ces zones. Dans les métropoles, l'opérateur a annoncé la semaine dernière un plan de développement de la fibre optique qui comporte un aspect déploiement, en frontal contre Numericable-SFR et un aspect commercial à venir, où l'abonnement des clients sera facilité, par exemple en rapprochant les tarifs de la fibre de ceux de l'adsl ou en offrant la mise en place de la fibre dans les appartements. Free et Bouygues Télécom sont co-investisseurs. Faut-il pour autant se baser uniquement sur les récents engagements des opérateurs poussés par le gouvernement ?
La Firip (*) qui regroupe 140 industriels du secteur reste vigilante en publiant son troisième Observatoire des Réseaux d'initiative publique, les RIP, créés à l'initiative des collectivités locales. C'est un autre point de vue qui est proposé, celui des acteurs de terrain, les aménageurs d'infrastructure. « Notre secteur est l'un des rares qui soit dynamique en France, le très haut débit est le seul Investissement d'avenir qui réussisse, on peut regretter que les pouvoirs publics n'aient pas davantage soutenu et valorisé le plan », note Jean-Christophe Nguyen Van Sang, secrétaire général de la Firip.
9 milliards d'euros mobilisés
Dans le même ordre d'idées, le secrétaire général remarque que la filière qu'il représente compte 5 100 emplois en 2014 et devrait passer à 12 000 en 2017. Des emplois très qualifiés, la Fédération propose d'ailleurs des formations spécialisées (*). Le chiffre d'affaires du secteur, uniquement sur l'activité des RIP, représente 1,265 milliard d'euros en 2014. Les projets déployés se montent actuellement à 9 milliards d'euros, pour un plan annoncé à 20 milliards d'euros, il pourrait atteindre les 30. Un plan mis en oeuvre par des entreprises françaises dont les emplois sont localisés en France, souligne la Firip.
Nos interlocuteurs attendent aussi beaucoup de la mise en place de l'Agence du numérique qui doit entrer en service dans les jours à venir après la fusion de la Mission très haut débit, de la French Tech, et de la Délégation aux usages de l'Internet. « On a toujours tendance à défaire ce qui fonctionne déjà, si c'est pour avoir quelqu'une qui remet encore les choses à plat, je ne suis pas d'accord », lance Jean-Christophe Nguyen Van Sang qui visiblement apprécie la personnalité d'Antoine Darodes, directeur de la Mission très haut débit qui pourrait piloter la nouvelle Agence.
L'Arcep s'occuperait de la tarification
Mais la Firip s'inquiète aussi de la multiplication des obligations de cahiers des charges ou de référentiels, « on sait poser la fibre, pas besoin d'un référentiel supplémentaire pour cela ». Elle s'interroge sur la question de la tarification, avec un amendement déposé au Sénat qui prévoit la même sur tout le territoire, un dossier qui serait confié à l'Arcep. « On ne peut pas appliquer le même niveau de tarification aux habitants de Neuilly et à ceux d'un RIP en pleine zone rurale ». Le souci du régulateur est en fait d'éviter qu'une collectivité locale ne propose un tarif très bas, pour attirer à tout prix des opérateurs de service, dévalorisant ainsi son investissement dans la fibre. Autre amendement, celui qui veut faire passer dans la loi, le label « zone fibrée » que préconisait la Commission Champsaur. En clair, dès qu'une zone rurale est fibrée par la collectivité, elle reçoit le label et, à ce titre, bénéficie d'un accompagnement de l'Etat.
De nombreux signes montrent ainsi la volonté de Bercy de porter le dossier fibre optique, que ce soit en suscitant des amendements à la loi Macron ou en recevant les grands opérateurs afin de faire pression sur eux. Collectivités locales et industriels restent quand même sur leurs gardes devant la constitution d'un duopole et la réalité des promesses financières, l'Etat réduisant ses budgets et ses dotations aux collectivités locales, tout en réalisant une réforme territoriale qui paralyse pour quelques temps leurs initiatives.
(*) Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique
(**) L'Université de Lorraine et l'Ecole d'Architecture de Nancy proposent par exemple une offre de formation continue et qualifiante pour les métiers liés au développement de la fibre optique. La CCI de la Drôme propose avec la Firip une formation aux métiers de l'Internet par satellite.