Entreprises informatiques cherchent racheteurs désespérément
Le « papy boom » des entrepreneurs IT était attendu mais la vague qui s'annonce prend l'allure d'un tsunami. Dès 2006, le cabinet Compubase prévenait qu'une société informatique sur quatre allait changer de main avant 2010. Alors que le nombre de cédants pour cause de prochain départ à la retraite ne cesse de croître, la dégradation du contexte économique vient encore compliquer la tâche de nombreux revendeurs IT.
A entendre les spécialistes de la cession d'entreprises, le départ à la retraite est la plus mauvaise raison de vendre son entreprise. « La cession devrait être préparée bien en amont, dès que le chef d'entreprise atteint l'âge de 55 ans », estime Jean Depraz, ancien commercial d'IBM devenu spécialiste du rapprochement d'entreprises. De son point de vue, le scénario le plus difficile est celui des entreprises dont la valeur ajoutée est inférieure à 50%, dont la rentabilité est faible et qui envisagent la cession très tardivement. Autant dire que plusieurs milliers de revendeurs IT sont aujourd'hui concernés. « Contrairement à ce que beaucoup imaginent, il y a aujourd'hui un grand nombre d'acheteurs et peu d'entreprises intéressantes à acheter", estime Jean Depraz. En tant que cabinet spécialisé, sa principale mission consiste donc à trouver des cédants fiables. Au cours des quatre dernières années, il explique ainsi avoir rencontré près de 300 chefs d'entreprise mais n'avoir finalisé que 20 dossiers, dont 14 dans le domaine informatique. La démarche de DL Software, qui rachète chaque année de 1 à 3 entreprises informatiques, est de ce point de vue exemplaire. Il ne s'intéresse qu'aux éditeurs de logiciels métiers indépendants (ISV métiers) et n'étudie l'acquisition que si l'entreprise répond aux quatre critères suivants : - Il faut que le marché cible ait une réelle profondeur, c'est-à-dire qu'il compte beaucoup de clients, - Il faut que la clientèle en question ne soit pas majoritairement en difficulté, - Il faut que le marché ne soit pas trop concentré entre les mains d'une poignée d'acteurs, - Il faut que l'entreprise soit rentable, explique Patrick Lemaire, co-fondateur de DL Software. N'est-ce pas trop demander ? Apparemment pas : cet adepte de la croissance externe est successivement devenu le leader des progiciels pour négociants en matériaux, pour les campings et pour les laboratoires d'analyse médicale. Les cédants qui s'apprêtent à partir à la retraite lui font-ils peur ? « Ce n'est pas un facteur rédhibitoire mais ils ne représentent que la moitié de nos acquisitions", explique Patrick Lemaire. "Ce qui change, c'est qu'on ne crée plus une entreprise pour la transmettre à ses enfants. De plus en plus, les cédants sont jeunes et vendent leur entreprise lorsqu'elle est au mieux de sa forme. ». C'est vrai pour le secteur IT comme pour tous les autres : les chefs d'entreprise devraient envisager une cession lorsque tout va bien et qu'ils sont suffisamment jeunes pour assurer la transition pendant plusieurs années. Inutile de préciser que c'est généralement le contraire qui se passe. L'enjeu concerne tout d'abord la valorisation de l'entreprise. Il existe en la matière de nombreuses formules de calcul, mais celle qu'utilise DL Software est l'une des plus utilisées : « Nous multiplions le résultat d'exploitation normatif par x, si possible sur la moyenne de plusieurs années, et nous y ajoutons l'excédent de trésorerie », résume Patrick Lemaire. En suivant cette formule mathématique, on comprend la mauvaise surprise des entrepreneurs du négoce informatique qui découvrent que leur entreprise ne vaut rien. « Les acheteurs ne doivent pas être les seuls à être proactifs", explique Myriam Ibghy, avocate spécialisée du rapprochement des entreprises au sein du cabinet parisien Iteanu. "Le cédant doit avant tout vérifier que son dossier est « propre », sachant que les acquéreurs potentiels feront de toute façon un audit ». Le plus souvent, les mauvaises surprises concernent la garantie de l'actif et du passif, les engagements du bail commercial ou la propriété intellectuelle, notamment lorsqu'il s'agit de prestations intellectuelles et de développement de logiciels. « Cet audit préventif ne sert pas uniquement à vérifier que tout est en règle, poursuit Myriam Ibghy ; le cédant doit penser à rendre son entreprise « sexy » et à envisager plusieurs scénarios, depuis la cession du fond de commerce jusqu'à la cession de titres et à l'augmentation de capital ». Depuis le 1er janvier 2007, les cédants qui partent à la retraite bénéficient d'un avantage fiscal important : l'exonération des plus-values. Encore faut-il vérifier que ces plus-values existent. « Comme les informations sur une entreprise en vente vont nécessairement circuler, il est indispensable de faire signer une lettre de confidentialité à tous ceux qui ont accès au dossier », précise Myriam Ibghy. Qu'il s'agisse des cabinets spécialisés, des avocats ou des acquéreurs eux-mêmes, tout le monde est d'accord : on ne valorise plus une entreprise en étudiant son potentiel mais en analysant son historique, et donc ses résultats. « Les cédants ne doivent pas oublier qu'ils doivent être aussi bien informés que les acquéreurs potentiels, prévient Myriam Ibghy. Une cession demande à la fois du droit des affaires, du droit social et du droit des marques ». En d'autres termes, préparer la cession de son entreprise ne peut pas être « gratuit ». Et plus on approche de la soixantaine, plus cela devient cher et difficile.