Editorial : faut-il accabler Michel Combes ?
Chaque jour ou presque apporte un élément supplémentaire dans ce qui est devenu le dossier Michel Combes. Il n'est pas le premier des grands dirigeants français à se faire projeter sur le ring médiatique pour ses rémunérations. D'autres avant lui, chez Peugeot, Carrefour, Air France ont subi ce même sort. Une spécialité française.
A chaque fois, les indignations se multiplient. Il se trouve toujours un ou plusieurs parlementaires pour demander à légiférer sur le sujet. Mais rien ne change, ce sujet étant de toute façon hors du champ législatif. Et les politiques auraient mieux à faire en expliquant comment Alcatel-Alsthom, fleuron industriel français a pu disparaître en l'espace de quinze ans. Si Alcatel, version Lucent, est à la Une en ce moment, n'oublions pas la partie Alstom passée, elle, sous pavillon US.
Le plus nouveau dans l'affaire Michel Combes tient à l'attitude du Medef, plus précisément du couple Afep-Medef. Deux ans auparavant, elles ont mis au point l'arme supposée fatale, le Haut comité du gouvernement d'entreprises, censé insuffler des codes de bonne conduite dans les grands groupes. Visiblement, ce système ne fonctionne pas. Ni les codes, ni les comités des rémunérations ne jouent un rôle de vigie. Ils ne font qu'avaliser les sur-rémunérations en tout genre. Cette fois, ce haut comité a décidé que ce serait la dernière. Attendons.
Pour son cas personnel, Michel Combes trouve les reproches, formulés sur sa rémunération, injustifiés. Il se défend au moins sur deux points, l'un tout à fait acceptable, l'autre très contestable. Michel Combes et ses défenseurs font remonter le cas Alcatel-Lucent bien avant son arrivée au poste de Pdg. Il est indéniable que le mariage avec Lucent fin 2006 a été le début de la fin. Depuis, le groupe n'a jamais retrouvé l'équilibre, dans tous les sens du terme, financier et surtout industriel. Michel Combes a fait ce pourquoi il est arrivé à ce poste, vendre Alcatel-Lucent, après l'avoir un peu redressé. C'est tout ce qu'il pouvait faire. C'est tout ce qu'on lui demandait.
Une manière de valoriser des actifs pour les vendre correctement
Au nom de ce redressement, il justifie aujourd'hui sa rémunération. C'est là où le bât blesse. Doublement. Un nouveau fleuron de l'industrie quitte la France, le redressement effectué par Michel Combes n'est qu'une manière de valoriser des actifs pour les vendre correctement. Et de sérieux doutes se profilent sur l'avenir du groupe une fois racheté. Rappelons au passage que d'autres morceaux partent sous d'autres cieux, Alcatel-Lucent Entreprise racheté par le chinois Huaxin ou la filiale Submarine Networks dont le sort sera tranché cette fin de mois. Cela justifie difficilement les émoluments impressionnants concédés à Michel Combes.
Dans le Figaro de vendredi dernier, Guillaume Sarlat montre également comment Goldman Sachs a pris le contrôle d'Alcatel -Lucent, imposé ses vues, son équipe, devenant le « véritable donneur d'ordres » du groupe. Un journal et un essayiste libéral ne peuvent que critiquer vertement cette affaire, mais aussi l'échec de la politique industrielle qui est derrière. Le cabinet Proxinvest, défenseur des actionnaires est lui aussi vent debout. Avec eux, nous sommes loin des critiques alter mondialistes habituelles, mais Michel Combes affronte forte partie.
L'attitude de l'intéressé a légalement laissé pantois
Dans cette affaire, très gênante à tous points de vue, l'attitude de l'intéressé a légalement laissé pantois. Nos confrères de Challenges relèvent même un mensonge public, devant la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le 16 juin dernier. Alors Pdg, Michel Combes dément son départ pour Altice. Or, il touche ensuite une indemnité de 4,5 millions d'euros, correspondant à une clause de non concurrence. Celle-ci est validée le 29 juillet par le Comité des rémunérations du groupe. En catimini. La clause a été adoptée alors que les protagonistes savaient qu'elle ne s'appliquerait pas, Michel Combes quittant un équipementier pour un opérateur. Son intérêt est donc de permettre une sur-rémunération que le court passage à la tête d'Alcatel-Lucent ne pouvait justifier.
Michel Combes est pris dans une spirale, où sa responsabilité n'est pas totalement engagée, mais à lui seul il a aggravé son cas et empêché qu'on le défende totalement. Certains de nos interlocuteurs soulignent sa gentillesse naturelle, son accessibilité mais estiment qu'il s'est retrouvé comme d'autres prisonnier d'un système où les administrateurs accordent des faveurs aux dirigeants, se tiennent entre eux et abusent des actionnaires. L'affaire arrive aussi au mauvais moment, celui où un gouvernement de gauche et un patronat veulent coopérer et éliminent chacun de son côté, tout ce qui peut entacher ce rapprochement.
En illustration : Michel Combes trouve sa mise en cause injuste