Vodafone et Altice rivalisent pour diriger la recomposition du câble européen
Une vague d'acquisitions secoue le monde des câblo-opérateurs en Europe, sous les coups de boutoir de l'américain Liberty Global, du français Altice-Numericable et du britannique Vodafone. Deux « câblo » et un « telcos », à la recherche d'entreprises à redresser et de convergences fixe / mobile / TV.
Le câblo-opérateur américain Liberty Global a racheté son homologue Virgin Media en Grande-Bretagne pour 23,3 milliards de dollars il y a un an. Au mois de janvier dernier, il s'est emparé du câblo-opérateur hollandais Ziggo NV pour 6,7 milliards de dollars. L'an passé, Vodafone opérateur mobile britannique, avait racheté Kabel Deutschland pour 7,7 milliards d'euros. Il n'y a vraiment qu'en France où le câblo dominant Numericable va racheter un opérateur télécoms, essentiellement mobile, SFR. Partout ailleurs c'est l'inverse, les « telcos » mettent la main sur les « câblos ». Ce serait le sens de l'histoire, la disparition programmée du câble.
Sur le même sujetNumericable dévoile, enfin, son plan pour intégrer SFRVodafone est sur cette ligne et cherche à placer les 93,7 milliards d'euros que lui a valu la vente de sa participation de 45% dans Verizon Wireless, filiale mobile de Verizon aux Etats-Unis. Le britannique vient de consacrer 7,2 milliards d'euros pour s'emparer d'Ono, câblo-opérateur espagnol. C'est la deuxième tentative et la bonne, la première il y a un mois avait échoué. Le groupe britannique va acquérir 100% du capital d'Ono. L'opération sera finalisée au troisième trimestre de cette année, sous réserve de l'accord des autorités de régulation.
Ono, 2ème cablo racheté par Vodafone
Ono couvre 7,2 millions de foyers espagnols soit 41% du parc. Il propose des vitesses à plus de 200 Mbps et la TV payante. Le réseau est à la norme Docsis 3.0, celle qui permet d'ajouter des transferts de données au trafic de la TV par câble. Après la tirade habituelle sur la création de valeur, Vodafone a expliqué l'intérêt de l'opération par la mise sur pied d'un leader des communications intégrées en Espagne. Vodafone mise sur le fixe pour compléter ses offres mobiles devenues moins rentables. L'Espagne n'est pas sa première tentative en ce sens. Après le rachat de Kabel Deutschland l'an passé, Il a voulu s'emparer de Fastweb en Italie. Cette société a été la première en Europe a lancer une offre triple play, elle appartient désormais au suisse Swisscom qui ne veut tout simplement pas vendre, mais Vodafone estime avoir les moyens de le faire changer d'avis.
L'opérateur britannique est toutefois sous le coup d'une attaque en règle de la part de l'agence de notation Fitch, précisément sur son opération de rachat d'Ono. Fitch met le géant britannique sous « surveillance négative » en estimant que les perspectives de rendement d'Ono ne sont pas à la hauteur de l'investissement consenti. Vodafone a en effet surenchéri. Début mars, son offre se montait à 6 milliards d'euros, il est finalement monté à 7,7 milliards d'euros pour emporter l'affaire. Très rancunier, Fitch observe que la cession de la participation de Vodafone dans Verizon n'était pas forcément très judicieuse, l'obligeant à investir ailleurs, dans des pays émergents notamment, où le risque est plus important. Vodafone cherche en fait à la fois à placer l'argent retiré de Verizon Wireless, mais aussi à compenser la baisse de ses revenus mobiles en Grande Bretagne, la solution c'est la croissance externe dans le fixe, en priorité dans le câble, un secteur réputé plus fragile.
Altice s'est déjà fait les dents
Patrick Drahi le Pdg d'Altice, maison mère du français Numericable est lui aussi sur une stratégie de croissance externe. Il l'a clairement expliqué lundi, mais sans donner d'indications géographiques précises. La lutte avec Vodafone s'annonce passionnante. Altice s'est fait les dents sur une série de petites acquisitions dans le câble et dans la téléphonie mobile. Aux Antilles, avec Tricom dans les mobiles et OMT pour le câble. En Israël, avec Hot dans le câble et Misr dans le mobile. Au Portugal avec le câblo Cogeco et au Bénélux avec Coditel.
Altice, à la différence de Vodafone, ne se pose pas la question de la convergence entre son activité d'origine (dans le câble pour Altice, dans le mobile pour Vodafone) et des acquisitions (dans le fixe pour Vodafone, dans le mobile ou le câble pour Altice). Patrick Drahi veut, comme il sait le faire, redresser des entreprises, en particulier des câblo-opérateurs, selon lui mal gérés et en état de sous-investissement. En France par exemple, Numericable a investi en passant les connexions des foyers à la norme EuroDocsis : 658 000 foyers en 2010, 114 000 en 2011, 503 000 en 2012, près de 400 000 en 2013. L'intégralité de ses 3,5 millions de prises sera modernisée d'ici fin 2016. Aux entreprises, il offre des connexions fibre optique (ou DSL pour les petits sites) à plus de 125 Mbps. Le discours est clair, malgré son image de financier, Patrick Drahi insiste sur ses priorités technologiques et sa capacité à investir. Si on le comprend bien, c'est le laisser-aller dans la gestion et dans l'investissement technologique qui conduisent les opérateurs, de câble ou pas, à se vendre. Les câblo-opérateurs n'étant pas plus fragilisés que d'autres opérateurs. Il se fait un malin plaisir de rappeler que pour constituer Numericable il a racheté des réseaux en piteux état, issus de France Télécom, Canal+, TDF.
AT&T et America Movil en échec
Dans ce tableau de la recomposition, nous n'aurons garde d'oublier Liberty Global, le câblo-opérateur américain dont le fondateur John Malone est le modèle de Patrick Drahi. Il s'est déjà manifesté mais reste loin de ses objectifs d'acquisitions en Europe. AT&T, l'autre géant américain, vise tout simplement ouvertement Vodafone et a fait une tentative sur Telefonica l'an passé. Leurs noms sont régulièrement cités en Europe, de même que celui du mexicain America Movil, qui a échoué à l'automne dernier pour la reprise du hollandais KPN.
La Commission européenne pour sa part souhaite que les opérateurs européens se rachètent entre eux. Pour l'heure, la tendance semble limitée. Telefonica a pris une participation indirecte dans Télécom Italia, deux opérateurs qui jouent également la recomposition des télécoms au Brésil. Orange manifeste des vélléités de rachat en Espagne sur Jazztel, opérateur triple play et sur Yoigo, filiale du suédois Telia Sonera. Les schémas théoriques, comme celui de la Commission, ont du mal à s'appliquer. Les opérateurs américains piétinent mais disposent de moyens considérables, leurs homologues sur le vieux continent ont inversement peu de moyens mais opposent un certain protectionnisme aux ambitions venues de l'extérieur. Patrick Drahi, lui, se montre imperméable aux désidérata de Bruxelles, comme il l'est aux foucades des pouvoirs publics français, il reste sur sa trajectoire d'entrepreneur et joue à l'inverse des autres « câblo » le rôle de prédateur et pas celui de cible.