Fleur Pellerin face aux sept défis de la rentrée

le 30/08/2012, par Didier Barathon, Régulation télécoms, 1794 mots

Nommée ministre, mais seulement ministre déléguée, Fleur Pellerin semblait confinée à un second rôle. Au fil de l'été, elle a démontré le contraire, prenant des initiatives sur tous les sujets du  numérique, donc avec l'aval de Matignon et parfois au détriment de son ministre de tutelle, Arnaud Montebourg. Revue de détail en 7 points.

Fleur Pellerin face aux sept défis de la rentrée

Haut débit / Très haut débit : le pied sur l'accélérateur

C'est le dossier n°1. En septembre, la ministre présentera une feuille de route. Le 27 juillet, elle réunissait, avec sa collègue de l'aménagement du territoire (Cécile Duflot)  les opérateurs concernés, les régulateurs et des collectivités locales dans une table-ronde. L'idée est de remobiliser les acteurs pour une couverture intégrale du pays d'ici dix ans. Comme toujours les zones les moins denses posent le plus de problème, que ce soit en termes techniques (fibre optique ou adsl renforcé), ou financiers.

Lors du séminaire des élus PS, à la Rochelle le 23 août, la ministre (source : Numericuss / Jean-Pierre Jambes) est revenue sur le dossier en promettant la fin des zones blanches d'ici 2017, avec des débits compris entre 3 et 5 Mbps pour tous (particuliers ou entreprises). La Plan national Très haut débit sera révisé avec un projet de loi annoncé avant fin 2012.

Une instance nationale de pilotage du dossier verra également le jour. Une « équipe commando » selon Fleur Pellerin, composée d'experts, chargée d'aider les collectivités dans l'élaboration des SDTAN (Schéma directeur territorial d'aménagement numérique) et autres RIP (Réseaux d'initiative publique).

En matière de financement, la ministre a avancé trois possibilités : une taxe sur le cuivre, les prêts à taux bonifiés de la BEI, Banque européenne d'investissements, et le guichet A du Grand emprunt qui sera ouvert aux RIP.

Par ailleurs, le haut débit mobile, la 4G, bénéficie d'un coup de pouce. Chaque opérateur menant des expériences différentes, la ministre les a réunis pour une initiative commune permettant de vérifier si la 4G interfère avec la TNT. Les trois grands opérateurs ont passé un accord pour déployer cette 4G, à Saint-Etienne, à titre expérimental.

Fiscalité du numérique : confiée à deux missionnaires

Fiscalité du numérique : confiée à deux missionnaires

La fiscalité du numérique est l'un des points les plus vifs dans les Livre Blanc des Fédérations professionnelles. C'est aussi un point de friction potentiel à Bercy entre les différents décideurs. Pour contourner ces obstacles, une mission d'étude est confiée par les ministres (Moscovici, Cahuzac, Montebourg et Pellerin) à Pierre Collin (avec deux « l »), conseiller d'Etat et Nicolas Colin (avec un seul « l), inspecteur des finances et entrepreneur, co-auteur de l'ouvrage l'âge de la multitude

Dans leur lettre de mission, il est indiqué que les finances publiques comme les entreprises françaises sont pénalisées par les nouvelles formes de transactions issues du développement de l'économie numérique. Les deux compères devront recenser les différentes taxes existantes et établir une comparaison européenne. La mission « formulera des propositions visant à créer les conditions d'une contribution à l'effort fiscal du secteur mieux répartie entre ses différents acteurs et favorable à la compétitivité de la filière numérique française. La mission s'attachera notamment à dégager des propositions en matière de localisation et d'imposition des bénéfices du chiffre d'affaires ou  éventuellement sur d'autres assiettes taxables

En clair, cette mission vise Apple, Google, Amazon, toutes ces sociétés qui acquittent peu d'impôts en France, par rapport au chiffre d'affaires (CA) réalisé. Le Conseil national du numérique (ancienne version), très actif sur le sujet estimait leur CA cumulé en France entre 2,5 et 3 milliards d'euros pour un impôt moyen de 4 ME par an. Si le régime fiscal français leur était appliqué, ils devraient s'acquitter de 500 ME d'impôts. Plus de 100 fois plus !

Les conclusions de cette mission devront être rendues à l'automne.

Hadopi : Pierre Lescure ne veut pas tout jeter

Hadopi : Pierre Lescure ne veut pas tout jeter

L'ancien n°2 de Canal+, Pierre Lescure s'est vu chargé d'une mission de réflexion sur l'Hadopi. Elle commencera ses travaux en septembre.  Pierre Lescure ne peut donc guère se prononcer, il a toutefois donné une précision importante. Son champ d'intervention ira largement au-delà  d'Hadopi, il intègre la télévision connectée, donc tous les moyens de diffusion de contenus. Et Pierre Lescure n'entend pas se limiter au débat minimaliste, faut-il ou pas conserver l'Hadopi, mais bien repenser les choses. Pour lui, « le net est inarrêtable », il faut l'accompagner, donc lutter contre le téléchargement illégal et pour l'offre légale, de films et de vidéos.

Autre recadrage, celui de Fleur Pellerin elle-même, dans une interview donnée aux Echos. Elle souligne que le rapprochement Arcep / CSA ne concerne pas Hadopi et que son rôle ne sera pas élargi «Nous sommes opposés à la surveillance généralisée et au filtrage. Nous restons très attachés à ces principes. La question n'est pas de limiter la liberté d'expression et les capacités d'innovation liées à la neutralité du Net.»

Rapprochement Arcep / CSA : une fusion sans effusion ?

Rapprochement Arcep / CSA : une fusion sans effusion ?

Si l'on en croit notre confrère La Tribune (édition du 23 août), le projet de rapprochement entre l'Arcep et le CSA, « fait l'unanimité contre lui ». C'est dire. A peine lancé, il s'attire une volée de bois vert, alors même que quelques voix le réclamaient. Des voix logées pour l'essentiel au CSA.

Les motivations ne sont pas très claires. Officiellement, il s'agit de réguler la diffusion de l'information, une définition très large. Derrière, on parle de réduire les coûts des deux structures (des trois en  incluant l'Agence des fréquences), de reprendre en main l'Arcep (trop indépendante et trop technique) et surtout le CSA.

Sur le fond, le projet permet de prendre en compte l'arrivée des TV connectées, c'est pour 2013, donc d'appliquer à tous les acteurs une régulation à la française. Tous les acteurs c'est-à-dire également les nouveaux  entrants comme Google ou Apple qui vont s'annoncer dans la télévision et ignorent l'exception culturelle française. Justement, cette exception doit être pérennisée selon Fleur Pellerin surtout dans le domaine télévisuel où les licences payées par les télé servent à financer la création.

L'enjeu est donc de taille mais les régulateurs, surtout le CSA, ne sont pas jugés qualifiés pour s'en emparer. Fleur Pellerin devra être tenace et bénéficier de tous les appuis nécessaires. Son prédecesseur Eric Besson avait déjà parlé d'un tel projet et voulu imposer un commissaire du gouvernement auprès de l'Arcep. Sur le dernier point, la Commission de Bruxelles était intervenue pour rappeler l'indépendance nécessaire des régulateurs des télécoms. Le rapport parlementaire Dosiere-Vanneste d'octobre 2010 préconisait de fortement réduire le nombre d'AAI, Autorités administratives indépendantes, au nombre de 42.

Quant aux deux régulateurs, si le CSA s'est montré favorable (du moins son Président), l'Arcep a toujours émis des réserves sur ce rapprochement.

Net neutralité : pas de remise en cause

Net neutralité : pas de remise en cause

La vice-présidente de la commission européenne, Nelly Kroes a lancé une consultation publique sur la neutralité du Net. Elle souhaite que chaque opérateur garantisse effectivement cette neutralité des réseaux. En France, une proposition de loi, en avril 2011, émise par deux députés, une du PS l'autre de l'UMP, voulait inscrire cette net neutralité dans la loi. Fleur Pellerin a repris cette idée de loi en juillet.

Le débat a ensuite rebondi, une déclaration de Fleur Pellerin lors des Rencontres de Pétrarque mi juillet a suscité quelques réactions, vite éteintes. Le projet de rapprochement entre les régulateurs a donné l'occasion à la ministre de rappeler son attachement à la nécessaire neutralité du net.  

Pour sa part, l'Association des services internet communautaires (ASIC) reste très vigilante devant toute forme de filtrage de l'Internet et rappelle la décision de la Cour de cassation dans deux conflits récents où « plusieurs décisions de juges du fond avaient imposé aux intermédiaires de retirer automatiquement, et sans notification préalable, tout contenu mis en ligne par un utilisateur dès lors que ce contenu lui aurait été notifié une première fois ». La Cour de cassation a émis un avis contraire. Pour l'Asic, «les hébergeurs n'ont définitivement pas à censurer automatiquement les contenus mis en ligne...c'est une date très importante pour le web communautaire français ».

Cette affaire permet de vérifier la mauvaise connaissance du concept de net neutralité et la grande vigilance que veulent préserver les professionnels.

Emplois : les télécoms en ligne de mire

Emplois : les télécoms en ligne de mire

Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin ont estimé début juillet que l'emploi ne devait pas servir de variable d'ajustement aux opérateurs télécoms. Une intervention en réaction aux plans de réduction d'effectifs annoncés par les opérateurs déboussolés par l'arrivée du 4ème opérateur mobile. Un deuxième sujet celui des  délocalisations des centres d'appels a très vite recouvert le 1er. Les deux ministres ont rencontré les opérateurs et les intersyndicales de Bouygues Télécom et de SFR pour en débattre.

A la rentrée, un train de mesures devrait être engagé, pour « éviter la casse sociale, relancer l'investissement et réconcilier l'intérêt des consommateurs et celui des salariés ».

Le rêve de la relocalisation des centres d'appel  est semble-t-il évanoui. Le ministre du redressement productif avait suggéré de rehausser les tarifs des abonnements téléphoniques, d'une vingtaine de centimes par mois, afin de compenser la relocalisation des centres d'appel. Très curieusement, sa ministre déléguée, dans un entretien au Parisien, a tranché : «Il n'est pas question de revenir sur la gratuité de l'assistance téléphonique, ni sur celle du temps d'attente.» Il est rare de voir une ministre déléguée contredire son ministre de tutelle, ce qui n'a pu se faire qu'avec l'aval du 1er ministre. Les opérateurs peuvent passer à autre chose.  

Par ailleurs, en dehors des télécoms, plusieurs syndicats de salariés ont tenté de joindre les ministres concernés (industrie, travail  et numérique) pour mettre sur la table les sujets de la flexibilité, de la sous-traitance, de la formation dans les services informatiques.

Les consommateurs : faut-il les opposer aux salariés ?

Les consommateurs : faut-il les opposer aux salariés ?

Pour relocaliser des emplois, partis dans les centres d'appel, les opérateurs ont suggéré au ministre du redressement productif d'alléger la loi Chatel sur deux points : la gratuité du temps d'attente des hotlines avec un appel facturé au tarif d'une communication locale, et l'obligation pour les opérateurs de proposer des engagements d'une durée de 12 mois.

Le sujet semble abandonné. « Une remise à plat de la loi Chatel n'est pas à l'ordre du jour » a déclaré Fleur Pellerin. Reste le principe, celui opposant le consommateur, qui aurait été gâté, au salarié, qui aurait été sacrifié. Tout sera donc fait pour retrouver de l'emploi en France dans les télécoms, sans avancée nouvelle pour les consommateurs.  Il existe un ministre de la consommation, Benoît Hamont qui n'a pas été consulté sur le sujet, mais a tenu à rassurer sur le maintien de l'assistance technique gratuite. Lui et Fleur Pellerin vont engager une concertation sur le subventionnement des téléphones dans les forfaits.

En clair, le droit des consommateurs n'ira pas plus loin, en échange, les opérateurs de télécoms sont invités à geler leurs suppressions d'emplois et à envisager des embauches.

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