Charasse encourage le piratage ?
L'ex-ministre des finances, réputé pour ses réflexions provocantes et ses attitudes paradoxales, tente, une fois de plus, de faire parler de lui en proposant un amendement supprimant toute allusion à la notion d'interopérabilité tel qu'il en est fait mention dans l'article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle. Le texte du député PS (mais oui, PS !) dit en substance que l'absence d'interopérabilité ne peut être utilisée pour favoriser une concurrence déloyale, puisque la loi l'interdit déjà. Aucun danger donc qu'un fournisseur de services ou éditeur envisage un seul instant de se laisser tenter, rapport à la moralité reconnue de ces estimables professions. Et d'étayer ses propos sur une décision du Conseil de la Concurrence qui pourrait précisément être interprétée par certains comme l'affirmation de l'absolue domination du marché de la protection des données numériques (DRM) par Microsoft. Signalons également au passage de ce député ardent défenseur des mécanismes à tendance monopolistique, deux remarques qui fleurent bon la provocation pré-électorale. Dito : « N'en déplaise aux intégristes du logiciel libre et aux associations de consommateurs, ce n'est pas en violant le droit de propriété, base du droit français et du droit européen, que nous défendrons notre place ni dans l'univers de la culture ni dans celui du numérique ». Réflexion suivie aussitôt par une précision sur les mécanismes de contournement des procédés anti-copie, référence à un texte qui « donne la solution technique -très simple et connue sans doute de tous les adolescents -[...]à savoir l'impossibilité alléguée de transférer sur certains baladeurs des titres téléchargés sur certaines plateformes » (ndlr : le contournement du DRM par gravure d'un CD qui, à son tour, « fera des petits »). Sur ce dernier point, il faut reconnaître que M. Charasse n'a pas tort : lorsque l'on souhaite à tout prix préserver les intérêts d'un quarteron d'industriels du divertissement, il est nécessaire d'insister sur l'intérêt d'un procédé qui permettra, à terme, de justifier la conservation de la taxe sur les supports vierges « dédommageant » les marchands de disques saignés à blanc par les ravages de la copie privée. Comme quoi, il faut au moins être Ministre, Député ou Conseiller Technique à la Commission de la Concurrence pour penser qu'il est pratique de devoir transiter par un medium particulier dans le seul but de transférer un fichier d'un support à un autre. Reste également que, rappeler lourdement dans un amendement l'art et la manière de contourner un procédé visant à préserver les revenus du monde de l'édition musicale, on appelle çà comment : du sophisme, ou de l'incitation au piratage ? Quant à la première remarque, elle prouve combien à grand renforts de « raccourcis rhétoriques », un homme politique parvient à tirer des conclusions générales totalement biaisées. Et tout çà en se basant sur une affaire excessivement spécifique (le transfert de fichiers « DRMisés » propriétaires vers un lecteur iPod Apple tout aussi propriétaire), allant même jusqu'à dire que les aspirations du monde du « libre » violent le droit de propriété. Voilà que ressurgit encore la vieille chimère des âpres au gain de la musiquette/produit de consommation, lesquels assimilent la notion d'absence de flicage à celle d'utilisateur pirate « de facto ». Vieux réflexe de Ministre des Finances cherchant derrière tout contribuable un fraudeur qui sommeille ? Le fait de prôner une architecture ouverte n'a jamais été antinomique de la notion de protection des oeuvres sur support numérique. Qui donc expliquera à Monsieur Charasse, que savoir comment « algorithmiquement » crypter un message n'offre en aucun cas le moyen de casser la clef qui le cryptera ? C'est là faire un amalgame entre les notions de « standard ouvert » et de « protection du droit des auteurs », deux idées pourtant totalement étrangères l'une de l'autre. C'est là une idée« très simple et connue sans doute de tous les adolescents ». On voit également là une prise de position relativement inquiétante. Car, dans cette petite expression « intégristes du logiciel libre », se retrouve un concentré des connotations péjoratives et des sous-entendus phraséologiques si courants dans les diatribes des mouvements populistes. Monsieur le Député (PS !), laissez le mot « intégriste » aux folliculaires amateurs de sensationnel et aux sémanticiens de pacotille qui moissonnent dans l'électorat de l'alarmisme et de l'insécurité. Ajoutons enfin qu'à la notion « d'intégristes du libre », on ne peut logiquement qu'opposer l'idée de « libéraux du propriétaire ». Une prise de position qui engage directement le PS, puisque ce raisonnement est tenu par l'un de ses ténors. Résumons : Open Source égal standard, égal Libre, égal Intégrisme, donc pas bon. Propriétaire, égale libéralisme, égal concurrence et commerce florissant, donc bon. En d'autres termes, en proposant cet amendement, Monsieur Charasse, (PS, hé oui !...) sous-entend très nettement qu'il existe une totale antinomie entre l'idée même de logiciel propriétaire d'une part et la notion d'interopérabilité et de normalisation d'autre part. En voilà, une affirmation qui va pas faire plaisir à Microsoft, entreprise qui soutient et « améliore » à sa manière et depuis tant d'années IP, XML, HTML, X400... Attendez... Tout compte fait, Monsieur Charrasse, il est vachement plus subtil qu'on aurait pu le croire. En dénigrant la notion d'ouverture des standards des libertaires du Libre, il parvient quand même à émettre, sans en avoir l'air, un avis totalement contraire qui pourrait bien influencer la Commission Européenne, laquelle planche actuellement sur l'éventuelle situation monopolistique de Microsoft accusé de trop vouloir « fermer » son noyau à la concurrence. Et en faisant finement allusion au « droit français et au droit européen », notre député dénonce le monopole et la quasi mainmise de MS sur les outils de DRM et son refus d'adhérer aux normes « ouvertes ». Ergo, notre député défend ardemment la position des développeurs militants de la sphère « Open Standard ». Si çà c'est pas de la subtilité au vingt-cinquième degré... on aurait pu s'en douter, tout de même. Charasse, c'est un député PS (ben oui, tout de même !)