Bouygues Télécom est seul à vouloir rallumer la guerre dans la fibre optique
Arnaud Montebourg réitère sa volonté de réduire le nombre d'opérateurs principaux en France de quatre à trois et déplore les licenciements dans la filière télécoms. Principal accusé, Bouygues Télécom a livré en quelques jours un plan de transformation destiné à se maintenir parmi les quatre, avec un capital indépendant et des offres agressives.
Le 30 juin prochain devrait être une date historique pour les télécoms. C'est du moins le voeux de Bouygues Télécom. Ce jour-là, il annoncera ses offres en fibre optique. Du FTTH qui serait vendu 37,99 euros selon un document interne, probablement encore moins cher, avec un débit descendant de 400 Mb/s. Cette offre s'accompagnera d'une nouvelle bbox, la Sensation fibre, et passera par le propre réseau en fibre de Bouygues Télécom et non plus par celui de Numericable, auquel il était lié.
Une manière de porter le fer sur le marché de la téléphonie fixe qui n'a plus bougé depuis des années. La bataille sera d'autant plus intéressante que les dirigeants de Numericable, en expliquant leur rachat de SFR, ont apporté le raisonnement exactement inverse. Eux veulent augmenter leurs tarifs et leurs service donc la rentabilité de leurs abonnés (l'ARPU : Average Revenue Per Unit ou Average Revenue Per User). Mais les intérêts sont divergents, Numericable-SFR dispose d'une base installée forte, qu'il veut faire payer davantage, alors que Bouygues Télécom doit conquérir de nouveaux clients. Le lowcost ayant détruit les perspectives sur le mobile, il ne lui reste que le fixe. Bouygues Télécom devrait également annoncer des offres Internet fixe par la 4G, on se souvient qu'à l'automne dernier, l'opérateur avait pris la 4G comme cheval de bataille pour gonfler son ARPU, avant que cette offensive ne soit réduit en miettes par Free.
Le trésor de guerre de Free
L'idée de Bouygues Télécom est maintenant de s'en prendre au trésor de guerre de Free, celui qu'il constitue par ses marges réalisées dans le fixe. Bouygues Télécom rêve de retourner au groupe de Xavier Niel le raisonnement que celui-ci a porté sur ses concurrents du mobile en janvier 2012 , pour les dénoncer aux yeux des consommateurs avant d'attaquer leurs bases clients et leurs confortables marges. Ce qui a marché dans le mobile au profit de Free marchera-t-il dans le fixe au profit de Bouygues Télécoms ? C'est toute la question. Une réponse se profile déjà, celle d'Orange, par la voix de Gervais Pélissier, directeur financier depuis huit ans et maintenant patron des activités en Europe (Ramon Fernandez, le directeur du Trésor lui succédant comme DAF du groupe).
Pour Gervais Pélissier, le pari de Bouygues n'est pas tenable. Il l'a clairement expliqué jeudi matin lors du séminaire des Echos « Telco&Digital Forum ». Une éventuelle guerre des prix dans le fixe lui paraît illusoire, les opérateurs n'ont pas les ressource suffisantes pour la mener. Et l'idée de capter la marge de Free n'appartient qu'à Bouygues Télécom et laisse sceptique le dirigeant d'Orange. « La vraie question sur le fixe c'est celle de sa rentabilité » expliquait, lors du même Forum, le directeur des affaires publiques du Groupe Orange, Michaël Triba. La France est déjà le pays d'Europe où les prix du triple play sont les moins chers, remarque-t-il, une concurrence effrénée pour les baisser paraît difficile à entamer et ne peut qu'affaiblir encore plus le secteur. Seul Bouygues veut rallumer la guerre dans le fixe alors qu'il paraît être le plus fragile par ses résultats financiers. Ses dirigeants le reconnaissent, mais arguent du soutien de leur actionnaire.
Le Plan très haut débit très mal parti
L'autre front ouvert depuis longtemps dans le secteur ne bouge guère, il s'agit du déploiement de la fibre optique. Où en est le fameux plan d'équipement de 80 % des foyers français en fibre optique d'ici 2023 présenté par le Président de la République ? Pour une fois unanimes, les opérateurs concèdent que ce plan est au point mort. Bouygues Télécom veut le ranimer en « fibrant » ses abonnés dans les zones denses dans un premier temps. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La France compte 33 millions de foyers, 3 à 3,2 millions ont accès à la fibre, mais 600 000 seulement sont abonnés.
L'explication est d'abord géographique. Le déploiement est divisé en trois phases : les zones très denses (en population) avec 6 millions de français concernés, les zones AMII (*) avec 11,8 millions de personnes, enfin les ZIPU avec 15 millions de français concernés. Les opérateurs vont facilement sur la première, Orange et SFR sont aussi sur la deuxième, le troisième pôle n'intéresse pas les opérateurs faute de possible rentabilité, ce que les élus locaux ne peuvent évidemment accepter. Ils déploient d'ailleurs des RIP et tous les départements ont aujourd'hui un schéma directeur numérique.
Pourquoi un tel blocage ?
La réponse est en fait non seulement dans les réseaux mais surtout dans leur partie terminale dans les immeubles. « On attendait 6 millions de foyers raccordés il n'y en a que 3 » remarque Gilles Vaque, directeur associé du cabinet PMP Conseil. "La raison est simple, il faut réussir à entrer dans les appartements. Et ensuite il faut convaincre les clients". Or la fibre optique ne dispose pas de « killer ap » c'est-à-dire d'usages déterminants pour décider le client.
L'investissement est également contrarié. Chez les opérateurs délestés d'une partie de leurs capacités d'investissements depuis l'arrivée de la tornade Free Mobile. Les collectivités locales souffrent également et restent inquiètes devant les projets de décentralisation. Les départements par exemple ne savent même pas s'ils vont disparaître ou pas, et à quelle date, ils ne peuvent donc s'engager sur des projets d'investissement à 20 ans et plus, comme les projets de déploiement de la fibre optique. Seule bonne nouvelle pour elles, l'Europe vient de débloquer une partie des fonds Feder pour des déploiements en très haut débit.
Priorité à la mutualisation
L'autre grande inconnue réside dans les rapprochements entre opérateurs, non pas d'ordre capitalistique mais pour la mutualisation de leurs réseaux. Ce fut l'un des grands thèmes du séminaire des Echos, « Telco&Digital Forum ». Orange et SFR ne font que souligner leur attachement au co-investissement. Eux ont signé un accord. SFR attend des signes positifs en ce sens de Free et de Bouygues Télécom. Au passage, SFR confirme qu'il continue à investir dans la fibre, démentant les inquiétudes qui se sont fait jour après son rachat par Numericable. SFR a même été choisi pour déployer les réseaux FTTH des départements de l'Oise, du Loiret et de l'Eure et Loir. « On va continuer à co-investir alors que le contexte économique n'est pas celui que nous avions prévu » remarque Alexandre Wauquiez directeur marketing réseau de SFR. Surtout, le représentant de SFR réclame que tous les opérateurs mutualisent, pas seulement lui et Orange. La fibre ne peut être rentable avec un seul, ou même deux opérateurs qui déploient.
Bouygues Télécom est donc très seul dans son offensive sur le fixe. Orange a des accords avec SFR de co-investissement en fibre optique et il a un accord d'itinérance avec Free pour le mobile. Bouygues Télécom lié à Numericable pour le fixe et à SFR dans le mobile, va-t-il poursuivre ou dénouer ces accords ? Peut-il seul rallumer la guerre entre opérateurs dans le fixe ? Ou succombera-t-il, peut être une fois remanié, à un rachat ? Son plan de transformation, annoncé cette semaine, ne donne pas toutes les réponses.
(*) AMII : Appel à Manifestation d'intention d'investissement