Baisse des investissements et de l'emploi chez les opérateurs télécoms français
Début mars, l'Arcep retrouvait son pouvoir de sanction sur les opérateurs télécoms donc un rôle central dans l'évolution du marché français. Désormais, tout engagement de leur part et même chacune de leur déclaration sont susceptibles d'être vérifiés et sanctionnés.
Jeudi dernier devant une commission du Sénat, le Pdg de SFR Jean-Yves Charlier remarquait que Vodafone ne souhaitait plus investir en France, la baisse des prix entraînant une baisse des revenus des opérateurs décourage l'investissement étranger (*). Ce sujet du lien entre baisse des prix pour le client, du revenu pour les opérateurs et donc de leurs investissements est au coeur de toutes les réflexions sur le marché des opérateurs en France. L'arrivée de Free Mobile au mois de janvier 2012 a déclenché la recomposition en cours du marché. Une réduction du nombre d'opérateurs est souhaitée, par exemple par le Pdg d'Orange, le ministre de l'économie ou ce matin encore, par le Pdg d'Alcatel-Lucent. Tous veulent un marché rentable.
L'Arcep, l'Autorité de régulation du secteur apporte justement plusieurs éléments nouveaux à l'occasion de la publication de son Observatoire annuel (donc portant sur 2013) du marché français. Il se caractérise par une distorsion entre l'évolution du fixe et celle du mobile. Pour le fixe, le nombre d'abonnements continue de décroître pour la quatrième année consécutive, les revenus baissent pour la troisième année de suite. Le marché du mobile se caractérise par une nouvelle progression en raison du développement d'offres forfaitaires libres.
Orange fait chuter l'emploi
Ce bilan 2013 comporte un volet sur l'investissement des opérateurs. Il est en en chute de 28,1% par rapport à l'année précédente, en tenant compte des achats de licence. Sans eux, cet investissement recule plus légèrement, passant de 7,3 à 7,1 milliards d'euros. L'emploi est également en baisse, de 3,3% soit 4 000 postes, en partie réaffectés aux filiales ou aux prestataires externes. Cette baisse est essentiellement située chez Orange, qui profite des départs en retraite massifs pour réajuster sa pyramide des âges, les autres opérateurs restant stables. L'emploi ne cesse de reculer dans le secteur, il comptait 156 000 postes en 1998, 126 000 aujourd'hui.
Les opérateurs qui dénoncent le low cost devraient se trouver confortés par ces chiffres qui montrent une dégradation de leur secteur, du moins une stagnation. Mais l'Arcep parallèlement à la publication de son Observatoire, rend exceptionnellement publiques cinq enquêtes administratives diligentées à l'encontre des quatre grands opérateurs français. La coïncidence est un avertissement ferme, d'autant plus ferme que le 12 mars dernier, Fleur Pellerin (alors ministre déléguée au numérique) rétablissait comme elle l'avait promis le pouvoir de sanction de l'Arcep. L'Autorité a rappelé hier qu'elle pourra le mettre en oeuvre dès que le décret d'application sera entré en vigueur . Son pouvoir d'enquête se double donc d'un pouvoir de sanction. C'est la double peine pour les opérateurs, bousculés par l'évolution des marchés et mis sur la sellette par le régulateur.
Free Mobile, 1er soupçonné
L'Autorité de régulation a ouvert cinq enquêtes en même temps. Elles mettent en cause les engagements de tous les opérateurs, d'abord de Free Mobile concernant le déploiement de son réseau 3G, donc son accord d'itinérance avec Orange. La filiale de Free doit couvrir 75% du territoire par ses propres moyens, en dehors de l'accord d'itinérance d'ici au 12 janvier prochain. L'Autorité diligente une enquête administrative pour s'en assurer.
C'est évidemment la plus spectaculaire, mais les quatre autres touchent à des points tout aussi essentiels de l'évolution du marché. Les quatre grands opérateurs, Bouygues Télécom, Free Mobile, Orange et SFR, sont sous le coup d'une enquête sur leur déploiement de la 3G en zone rurale. Leur engagement porte sur 3 500 communes qui devaient être couvertes d'ici fin 2013. L'Autorité les soupçonne de n'avoir couvert cet engagement qu'à 25%.
Les offres de gros d'Orange sur la sellette
De la 3G, il en est question dans la troisième enquête qui concerne SFR et son engagement de couvrir 99,3% de la population. Là encore, l'Autorité préfère vérifier par elle-même. Deux enquêtes enfin concernent l'opérateur historique sur deux sujets très différents, ses offres régulées pour le marché des entreprises et la qualité du service universel sur le marché grand public. C'est auprès d'Orange que l'Arcep veut recueillir les documents nécessaires à ses vérifications. Dans le 1er cas, le sujet concerne l'éco-système des opérateurs français de petite taille qui souscrivent aux offres de gros de l'opérateur historique, dans le deuxième cas d'une obligation imposée à Orange pour assurer à tous les français un accès à la téléphonie mobile.
L'Arcep fait passer plusieurs messages, celui de la fermeté et de son rôle retrouvé. Celui de l'égalité, tous les opérateurs lui sont redevables d'informations précises et à défaut elle les vérifiera elle-même. L'Autorité revient au centre du « jeu ». Bousculée par le ministre de l'économie ou par les différents opérateurs, mais rétablie dans son intégrité par Fleur Pellerin, elle va jouer non seulement un double rôle, d'étude et d'enquête, mais peut-être de sanction. Elle utiliserait alors les procédures dites de « mise en demeure ». Ce sera peut-être le prochain sujet.
(*) Ce dernier n'est d'ailleurs plus souhaité par le Gouvernement. Arnaud Montebourg a pris un décret (n° 2014-479) le 15 mai dernier pour soumettre l'investissement étranger à autorisation préalable dans plusieurs secteurs clé, dont les télécoms
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