Axelle Lemaire fera-t-elle mieux que Fleur Pellerin ?
Après la médiatique Fleur Pellerin, une nouvelle ministre arrive au Numérique, Axelle Lemaire, entourée de la même bienveillance. Quels sont ses pouvoirs réels, ses attributions, comparés à l'étendue des sujets qu'un tel portefeuille ministériel est censé couvrir ? Etre sympathique, médiatique, à l'écoute, suffit-il pour illustrer une politique numérique digne de nom ?
1 Des pouvoirs très flous
Avant d'étudier dossier par dossier, les politiques numériques, il n'est pas inutile de faire un peu de géopolitique ministérielle. Fleur Pellerin était ministre déléguée, Axelle Lemaire est secrétaire d'Etat. Peu de différences en fait, elles dépendent du même ministre Arnaud Montebourg. Leur département ministériel est donc, assez logiquement, dans un rapport de subordination à la politique industrielle globale.
Sauf que leur ministre de tutelle est encore plus puissant que sous le précédent gouvernement, il est passé de ministre du redressement industriel à ministre de l'économie, du redressement industriel et du numérique. Il s'octroie donc la moitié de Bercy et le numérique. La dépendance est encore plus forte pour la secrétaire d'Etat qui n'a que peu d'attribution en propre. Elle ne dirige pas d'administration. Elle parle. Et c'est là son principal écueil. Elle s'exprime sur des sujets où elle n'a pas forcément la décision, souvent pour porter une parole encore plus élevée. Fleur Pellerin illustrait le projet Très haut débit du Président de la République, elle se rendait à l'étranger porter la French Tech pour calmer les colères de nos start ups, mais sans lien avec les administrations du commerce extérieur, sans lien non plus avec l'administration fiscale.
Sur le même sujetLes Etats-Unis doutent de la nécessité de déployer la fibre optiqueBref un ministère largement sans pouvoir. Fleur Pellerin a su exister en devenant la porte-parole du numérique, avec une double écoute, très forte des professionnels et toute aussi attentive du chef de l'Etat. Problème, le ministre de tutelle défendait dans le même temps une autre vision, plus protectionniste et d'autres priorités. L'une portait le projet très haut débit ou la 4G, l'autre complétait, « à condition de favoriser les industriels français et l'emploi». Ce qui a provoqué des étincelles au départ et s'est transformé ensuite en synthèse, parfois harmonieuse parfois chaotique.
Curieusement, le volet social est assez faible dans ce département ministériel. Les syndicats d'Alcatel-Lucent, très attachés à leur entreprise et au patriotisme économique ont rencontré peu de soutiens. Ceux d'Orange, plus virulents, ont vu le Gouvernement soutenir et renouveler le mandat de leur Pdg qui a ramené la paix sociale. Dernier épisode, le plus stupéfiant, on a vu des syndicats inquiets de la recomposition des télécoms, c'est leur rôle, mais aussi le secrétaire général de Force Ouvrière venir au secours du projet Bouygues de reprise de SFR, comme l'ensemble du Gouvernement, en tout cas comme le département de l'industrie l'avait fait.
2 Des dossiers structurants en attente
Dans la tradition française « colbertiste » les dossiers actuels du numérique succèdent aux grands projets restés dans les mémoires : plan Calcul (années 60) équipement téléphonique (années 70), Plan Câble et Informatique pour tous (années 80). François Hollande a mis sur la table le plan Très haut débit pour équiper toute la France, particuliers, administrations et entreprises en fibre optique d'ici 10 ans.
Le projet est clair, sa mise en oeuvre bute sur une question simple de moyens, de répartition entre l'Etat, les opérateurs, les collectivités locales. Ces dernières craignant, alors qu'elles subissent régulièrement des baisses de dotation, de devoir prendre l'essentiel du projet à leur charge ou bien de laisser de côté les zones les moins denses, ce qui est évidemment l'inverse du but recherché.
Dans le même ordre d'idées, un ministère du numérique devrait se saisir du dossier de l'aménagement numérique des territoires. Il dépend de la fibre optique mais sans doute d'autres technologies et d'un éco-système qui commence à se mettre en place derrière les RIP. N'oublions pas non plus les multiples structures, comme les pôles de compétitivité qui ont foisonné et sont peut être trop nombreuses pour être compétitives à l'échelle européenne. La diminution du nombre de collectivités locales devrait avoir son pendant pour les structures économiques.
Les projets structurants concernent aussi l'équipement en réseaux mobiles avec l'arrivée de la 4G. Bouygues Télécoms et SFR, fin janvier, ont signé un accord pour créer une société commune chargée d'installer un réseau. Ce projet va-t-il continuer ? Celui de Free régulièrement épinglé par le ministre de tutelle est-il du ressort de ce ministère, ou des régulateurs, ou encore de la simple négociation entre entreprises (par exemple pour l'accord entre Orange et Free).
Le dividende numérique est également en suspens. Le Gouvernement souhaite vendre les fréquences dans la bande 700 MHz, actuellement dans le secteur audiovisuel pour les transférer dans les télécoms. Les opérateurs qui ont les poches vides semblent moins pressés. La décision doit se prendre en liaison avec les homologues européens.
3 Des politiques de soutien à consolider
Fleur Pellerin s'est emparée avec brio des sujets liés à l'éco-système du numérique, du moins au nouveau système numérique, celui des start-ups. Les sujets foisonnent.
Le soutien est d'abord financier et fiscal. Fleur Pellerin avait beaucoup appuyé les entreprises, relayé leurs préoccupations, mais la décision appartient à Bercy, dirigé aujourd'hui par un tandem. Des attributions et des co-attributions d'administrations dépendra le sort des dossiers. Dans tous les cas de figure, la ministre n'est pas décisionnaire mais intermédiaire. Un cas flagrant illustre sa faiblesse. Celui du CIR. Sujet presque ancien, complexe, mais depuis de longs mois, les entreprises, Syntec Numérique en tête, dénoncent la prise d'autonomie de l'administration fiscale sur le sujet, elle décide en toute autonomie des critères d'attribution et surtout des corrections éventuelles. Qui aura le dernier mot, le ministre des finances, la secrétaire d'Etat au numérique, ou bien l'administration ?
Plus généralement, le système de financement des start-ups et ensuite des premières années est une question lourde, là aussi avec plusieurs décideurs ministériels. La ministre aura également fort à faire avec des sujets encore plus complexes. Celui de la fiscalité des géants du Net, entreprises basées au Luxembourg ou en Irlande par exemple, pour échapper au fisc, français ou autre, en tout cas moins payer d'impôts. Ce dossier européen est en suspens depuis de longs mois. Sans liens, mais au même niveau, on retrouve des dossiers aussi décisifs que la protection des données, l'Afdel se félicite de la décision des députés européens, les opérateurs télécoms la dénoncent. Les intérêts privés ne sont donc pas les mêmes. Où penchera la Ministre ?
L'attractivité de la France est logiquement un dossier à lui seul. Avec la fiscalité, la formation des ingénieurs, les structures d'accueil et d'accompagnement. Certains en plein essor d'autres sont des freins. Là encore la multiplicité des décisionnaires, que ce soit à l'échelon ministériel ou à celui des administrations nuit à une visibilité des structure et noie les décisions. Compte tenu du parcours et des préoccupations très internationales d'Axelle Lemaire, elle devrait être particulièrement à l'aise. Des sujets sont déjà très avancés comme le big data où se constitue une filière et le cloud avec la remise du rapport de Thierry Breton et d'Octave Klaba.
La nouvelle secrétaire d'Etat sera-t-elle uniquement la ministre médiatique du numérique ? Son ministre de tutelle et celui des finances lui laisseront-ils des pouvoirs réels, donc des administrations ? Dans le 1er cas, elle devra se démultiplier pour cultiver sa cote sans se fâcher avec sa tutelle, dans le second, elle a des chances d'agir, ce qui est bien le moins pour un membre d'un Gouvernement. La réalité de son pouvoir se joue dans dès maintenant dans ses décrets d'attribution, après il sera trop tard.